XVIème Université d’été francophone pour les jeunes ou futurs professionnels du journalisme

« Les journalistes doivent-ils parler du passé ? », du 13 au 30 septembre 2000 au CUEJ (Strasbourg)


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Co-organisée avec le Centre Universitaire d’études du journalisme et ARTE ; avec la participation de la Maison de l’Image ; avec le soutien de : Ministère français des Affaires Etrangères, Conseil de l’Europe, Robert Bosch Stiftung, Fondation européenne de la culture, Ville de Strasbourg, Conseil régional d’Alsace, Conseil général du Bas-Rhin, Open Society Institutes (South-East sub programme).

 

 

Présentation thématique

 

L’Université d’été co-organisée avec le Centre universitaire d’études du journalisme et ARTE portera sur le journalisme d’investigation, et, dans sa relation avec le travail d’enquête, avec le film documentaire. Quelle est la nécessité, pour un journaliste, d'aller enquêter sur le passé ? Doit-il laisser faire l’historien ? Quelles sont les compétences et les techniques requises pour un travail relevant de la vérification de l’information, de l’utilisation des archives et de celle des témoignages ? Toutes ces questions seront abordées, ainsi que celles relevant du lien existant ou à tisser entre les journalistes et la communauté scientifique. D’autre part, le rapport entre journalisme d’investigation et film documentaire fera l’objet d’une analyse critique, en étroite collaboration avec les équipes d’ARTE.

Enfin, travailler sur le passé implique pour le journaliste ou l’auteur de film documentaire la confrontation avec des opinions non clarifiées, des histoires opaques, non révélées et souvent manipulées par le pouvoir. Comment acquérir cette posture critique à l'égard de l'historiographie officielle et faire face aux pressions, lorsque l’on veut réellement se confronter aux stéréotypes nationaux touchant l’histoire et la mémoire collective.

Certains des textes qui le composent abordent amplement, la thématique du rapport au passé. Le numéro 18 de la revue culturelle internationale Transeuropéennes, à paraître fin août, sera distribué aux étudiants, comme l’une des bases de travail possible.

 

 

Conclusions générales

 

Cette université d’été a été suivie par 27 étudiants venant de tous les pays du Sud-Est de L’Europe (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Grèce, Kosovo, Macédoine, Roumanie, Slovénie, Turquie, RF Yougoslavie, (Serbie / Montenegro). Le groupe se caractérisait par la variété des âges (de 20 à 30 ans), par un groupe d’étudiants venant des pays d’ex-Yougoslavie faible numériquement (par suite de difficulté de recrutement de participants francophones) et, en revanche, par un groupe albanophone important. Leur niveau de compétence professionnelle était en général bon, voire excellent pour certains, mais on a pu regretter les différences de degré d’implication et dans le métier, et dans l’université d’été ellemême.

Le défaut de déontologie chez certains, consistant à relire la réalité à travers leur propre idéologie, a porté préjudice au travail de groupe. On déplore enfin la difficulté toujours croissante à recruter des jeunes professionnels francophones, notamment dans les pays issus de l’ancienne Yougoslavie, et la baisse générale du niveau de français, qui entraîne un flou dans l’expression parfois dommageable.

 

Les partenaires et les intervenants

L’Université d’été était accueillie par le CUEJ. Le partenariat avec cette institution s’est toutefois avéré difficile. Limité à la mise à disposition de la salle de cours et au prêt de matériel pour la réalisation des enquêtes, il a été peu concluant. L’accueil n’a pas toujours été très chaleureux et les contacts quasi inexistants.

La collaboration avec ARTE, cette année plus restreinte que les années précédentes, s’est limitée à une coopération avec la section documentaire de la chaîne. Celle-ci s’est avérée extrêmement fructueuse et enrichissante. Les documentaristes contactés par ARTE ont présenté des oeuvres d’une grande qualité illustrant parfaitement le thème des universités d’été. Tant la projection des documentaires que les discussions qui ont eu lieu par la suite avec leurs réalisateurs ont suscité de l’intérêt et fourni matière à réflexion aux étudiants. Certaines approches comme celle de Ferenc Moldovanyi, ont également beaucoup plu par leur approche très personnelle et leur recherche esthétique.

Les intervenants venaient de différents pays européens (principalement d’Allemagne, de Grande-Bretagne, de Belgique, de Hongrie). Ceux qui ne connaissaient pas encore Transeuropéennes ont manifesté un grand intérêt pour le projet des universités d’été et apprécié la qualité des échanges avec les étudiants et des relations de ces derniers entre eux. Leur venue a semble-t-il souvent été l’occasion pour eux d’examiner leur propre travail selon une perspective nouvelle.

 

Les journalistes et l’histoire officielle

L’objectif thématique (« Les journalistes doivent-il parler du passé ? ») était d’amener les participants à s’interroger sur la nécessité d’une posture critique à l’égard de l’historiographie officielle et des discours majoritaires, en les incitant à se confronter aux stéréotypes nationaux relatifs à l’histoire et en éveillant leur méfiance face aux possibilités de manipulations historiographiques opérées par les Etats ou les communautés.

 

Du cas franco-allemand à la situation dans les Balkans

Le sujet a été abordé en combinant les approches théoriques et pratiques. Les aspects théoriques de la question du passé ont été évoqués à l’aide d’exemples. La Seconde Guerre mondiale dans le miroir de la mémoire alsacienne a servi de premier cas d’étude, à travers un cours sur l’histoire de la région alsacienne et une réflexion autour du projet de mémorial à Schirmeck. Deux grands débats ayant secoué la société allemande dans les années 1990 ont également été évoqués pour illustrer les enjeux de l’évocation du passé : le débat soulevé par le discours que l’écrivain allemand Martin Walser prononça en tant que lauréat du Prix de la Paix des Libraires allemands en 1998, et celui né de l’exposition que le Hamburger Institut für Sozialforschung réalisa sur les crimes de la Wehrmacht pendant la Seconde Guerre mondiale.

Cette première partie recoupe environ la première semaine de l’université d’été. Elle a permis de poser le débat, d’en présenter les enjeux à l’aide d’exemples divers tirés de l’histoire française et allemande. Au cours de ces séances les étudiants ont été confrontés à diverses notions qu’il s’est agi d’éclaircir et de lier entre elles : comme celle d’Histoire, de mémoire (collective), de souvenir, mais aussi de politique de la mémoire, des commémorations, du devoir /abus /travail de mémoire, de justice, d’oubli, de pardon etc.

Toutes ces notions ont été rapportées durant la deuxième partie de l’université d’été à la situation particulière des Balkans à travers une interrogation sur les transformations et les guerres de ces dix dernières années. Ce travail a été mené de deux manières, d’une part grâce à la présence de journalistes ayant travaillé sur place et d’autre part à travers la présentation par les étudiants d’enquêtes sur le passé effectuées par eux-mêmes dans leur entourage.

 

Du journalisme d’investigation au film documentaire

En termes d’outils médiatiques, les deux premières semaines de l’université d’été ont été consacrées au rôle de la presse écrite dans les enjeux de mémoire, et plus particulièrement au rôle du journalisme d’investigation dans la mise en lumière des épisodes peu glorieux, tus ou oubliés de l’histoire (nationale). Les exemples étudiés avaient en outre pour but de nourrir la réflexion sur l’articulation du lien entre le rôle du journaliste et celui de l’historien dans la mise en lumière du passé et dans la diffusion des connaissances dans ce domaine.

La dernière partie du programme était consacrée au travail de documentariste en relation avec le travail sur le passé. Ici de nombreux exemples de ce travail, consistant soit à retracer certains épisodes d’une histoire oubliée voire refoulée (Sinasos), douloureuse (Marcourt) et complexe (Suicide d’une nation) ont été présentés, le plus souvent en présence des réalisateurs. La question de la relation entre le documentariste et l’historien dans la production de telles oeuvres a également été abordée, notamment à travers l’étude des conditions de production des documentaires sur les pays du bloc de l’Est réalisés par Jacques Rupnik pour la BBC dans les années 1980 et par Jochen Staadt sur les révélations des archives du SED.

 

Un terrain peu défriché

D’une manière générale, aborder la question du passé et de son poids dans les sociétés occidentales comme balkaniques n’allait pas de soi pour les étudiants. Ces derniers ont découvert avec étonnement, à travers l’évocation de l’histoire de l’Alsace et plus généralement celle de la Seconde Guerre mondiale et de ses traumatismes en France et en Allemagne, la présence d’enjeux pesant encore aujourd’hui sur les sociétés d’Europe occidentale, et qui se posent dans des termes comparables dans leurs pays. Cette découverte a mené à deux prises de conscience. La première est relative au poids des traumatismes de guerre et des épisodes douloureux de l’histoire, surtout quand ceux-ci ne font pas l’objet d’un travail de mémoire actif et critique. La seconde porte sur une vision plus complexe des sociétés ouest-européennes, perçues non plus uniquement comme des havres de paix et de prospérité, mais confrontées elles aussi à la gestion d’un passé douloureux.

Les cours théoriques n’ont pas toujours été appréciés à leur juste valeur. Certains étudiants ont eu du mal à saisir le sens d’un exemple pris en dehors du contexte balkanique, à se situer dans une démarche comparative. Toutefois l’exemple de l’Alsace et plus généralement des plaies de la Seconde Guerre mondiale en France, en Allemagne et en Belgique ont permis d’engager une réflexion plus distanciée par rapport à la situation des Balkans. Ils ont fourni à certains le recul nécessaire pour analyser de manière plus théorique et dépassionnée leur propre réalité et plus particulièrement certains comportements nationalistes. Ces exemples ont ouvert de nouvelles perspectives aux étudiants, qui se sont à leur tour interrogés sur le temps nécessaire pour entreprendre un tel travail de mémoire dans leur région. Ils ont aussi permis de lever certains tabous et d’engager des débats sur des sujets sensibles. L’expérience de la réconciliation franco-allemande concrètement perceptible à Strasbourg par l’absence de frontière tangible entre les deux pays a alimenté cette réflexion.

 

Une prise de conscience de l’autre

Une fois que la question des Balkans a été posée dans ce contexte, grâce notamment au film Suicide d’une nation, à sa manière clinique de décortiquer une logique de guerre, et grâce aux présentations des travaux des étudiants, une prise de conscience s’est opérée. Les participants ont constaté la force des stéréotypes nationaux et à quel point ils connaissaient peu et mal leurs voisins. Les échanges suscités par les différentes présentations ont permis à chacun de prendre conscience de la sensibilité historique des autres. Ainsi le constat a été fait que, malgré des lectures divergentes de certains épisodes historiques, il était possible de croiser les perspectives de récit et d’admettre qu’un regard différent et coordonné soit porté sur ces mêmes événements. A cet égard, le documentaire Sinasos, qui porte sur les déplacements forcés de populations entre la Turquie et la Grèce dans les années vingt, à partir d’un village d’Anatolie, a servi de catalyseur à cette prise de conscience.

L’analyse des engrenages de la guerre et des traumatismes collectifs qui en résultent ont été un des moments forts du travail. La sensibilisation à la question de l’objectivité historique et à la nécessité d’une remise en cause critique de ses propres a priori à l’égard des autres, et de l’histoire, a rencontré un écho favorable chez les étudiants. Si le travail critique sur les stéréotypes nationaux a été mené avec beaucoup de finesse, on constate toutefois la prédominance des lectures historiques marquées par la théorie du complot et un très fort anti-américanisme, voire antioccidentalisme fréquemment accompagné d’un discours assez simpliste sur la globalisation et la volonté de l’Occident d’imposer dans les Balkans son modèle (présenté sans nuance comme unique). Les participants ont non seulement la conscience aiguë d’une « spécificité » balkanique, mais aussi une forte tendance, qui va de pair, à considérer l’Occident comme une unité fonctionnant selon un système unique. Ainsi pensent-ils majoritairement le rapport Europe occidentale/Balkans en termes d’antagonisme.

Au cours de l’université d’été, les étudiants ont découvert une réalité nouvelle de leur région, mais le pas qui consiste à s’interroger sur les responsabilités individuelles dans ces processus n’a pas toujours été franchi.

 

A la recherche d’une dynamique

Comme dans toutes les université d’été, des échanges très importants ont eu lieu en dehors des cours, lors de discussions informelles entre étudiants. Les amitiés très fortes qui se sont nouées pendant ces semaines ont permis à ces derniers de surmonter les préjugés de leur communauté envers les communautés souvent perçues comme antagonistes et d’envisager l’autre sous un angle nouveau. De ce point de vue il est certain que ces trois semaines auront joué un rôle extrêmement bénéfique pour de nombreux participants.

A l’exception d’un petit groupe, la participation et l’assiduité étaient bonnes. Si les relations au sein du groupe étaient très chaleureuses et amicales et si l’atmosphère générale était excellente, on a toutefois pu noter une certaine difficulté des étudiants à s’organiser quand il s’est agi de réaliser des travaux de groupe, notamment en ce qui concerne l’enquête sur Schirmeck. Malgré l’esprit d’initiative et la forte mobilisation de quelque uns, une force d’inertie émanant du groupe a freiné les initiatives.

 

Production en amont, production en aval

Dans le cadre des universités d’été, deux travaux pratiques concrets ont été confiés aux étudiants. Ces derniers avaient pour mission d’une part d’effectuer chez eux, avant de venir, une enquête sur un élément du passé dans leur entourage, d’autre part, une fois à Strasbourg, de mener une enquête sur le projet de mémorial à Schirmeck.

En ce qui concerne le premier point, tous les étudiants à de très rares exceptions près, avaient fait ce travail. Ils ont eu recours à des supports très différents, la vidéo, des textes, des photos, des CD-Roms, des diapositives. Ces travaux devaient être effectués dans un esprit critique. L’objectif était d’analyser un épisode du passé de son entourage d’une manière personnelle. Or cet esprit critique s’est exercé de manière très inégale. De nombreux travaux présentaient un réel intérêt. Ils témoignaient d’une approche originale : on peut citer ici notamment le très émouvant panneau de photos réalisé par un étudiant du Kosovo présentant les enjeux de la couverture médiatique et de la manipulation possible du massacre de Racak, tout comme une réflexion sur les héritages du passé communiste en Roumanie sous forme de petit film vidéo, le court métrage d’un étudiant du Kosovo sur le poids des « disparus » pendant la guerre dans la société kosovare aujourd’hui, une réflexion sous forme d’exposé sur l’empire ottoman et son système de millet etc. D’autres travaux par contre, ne parvenaient pas à s’extraire d’une vision stéréotypée de l’histoire, à la gloire de la nation, cédant même souvent à une tentation « folkloriste ».

Si les travaux présentés étaient de qualité variable, le regard étant plus ou moins critique, la qualité des débats nés autour de ces présentations et le réel intérêt qu’elles ont suscité parmi les étudiants ont prouvé la valeur de cet exercice, auquel plus de temps aurait dû être accordé. Les discussions faisant suite à ces présentations ont été parmi les plus riches de l’université d’été.

Le travail d’enquête sur place autour du projet de mémorial à Schirmeck sur l’Alsace pendant la guerre constituait l’illustration des enjeux d’une politique de la mémoire et aurait dû aboutir à une réflexion critique sur la nature du projet, ce qui en motive la réalisation plus de cinquante années après la fin de la guerre et ses chances d’aboutir. Une visite a été effectuée sur place le jour le la constitution de l’Association des amis du mémorial de Schirmeck où étaient rassemblés les principaux protagonistes du projet. Au préalable une présentation avait été faite par le chargé de projet auprès du Conseil général du Bas-Rhin.

Or malgré l’accueil chaleureux qui leur a été réservé par les personnes mobilisées sur le projet du mémorial, les étudiants ont fait preuve d’assez peu d’esprit d’initiative dans leur enquête. Celle-ci au lieu de porter sur les enjeux de la mise en oeuvre d’une politique de la mémoire en Alsace, a pris un tour très descriptif auquel il manque un réel questionnement critique. Les deux enquêtes produites à l’issue des trois semaines sous forme d’un article et d’une réalisation vidéo se sont révélées un peu décevantes. A la décharge des participants, il faut toutefois noter que le temps qui leur était imparti pour cet exercice était extrêmement restreint.

 

Synthèse réalisée par Catherine Perron.

 

 

Intervenants

 

Alain Chanel, directeur du CUEJ, Strasbourg ; André Dartevelle, documentariste, Belgique ; Jean-Louis English, journaliste, directeur de France 3 Alsace ; Jean-Marie Haeffelé, directeur du journal L'Alsace, Mulhouse ; Georges Heck, directeur de Vidéo les beaux jours, Maison de l’image, Strasbourg ; Jacques Laurent, Responsable de l'unité documentaire, ARTE, Strasbourg ; Tihomir Loza, documentariste, Londres ; Antoine Maurice, Journaliste, La Tribune de Genève, Genève ; Ferenc Moldovanyi, Documentariste, Budapest ; Jacques Rupnik, Directeur de recherche, Centre d'études et de recherches internationales (CERI), Paris ; Jochen Staadt, politologue, Otto Suhr Institut, Université libre de Berlin, Collaborateur de la Frankfurter Allgemeine Zeitung ; Chris Stephen, journaliste, The Scotsman, Londres, Moscou ; Jean-Pierre Verdier, Chef de Projet, Mémorial de Schirmeck, Conseil général du Bas Rhin ; Alfred Wahl, Professeur d'Histoire contemporaine, Université de Metz ; Brigitte Wehland-Rauschenbach, Philosophe, politologue, Otto Suhr Institut, Université Libre de Berlin, Berlin ; Jean-Pierre Worms, Sociologue, Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales, Paris.

 

 

Partenaires et équipes

 

Centre universitaire d'études du journalisme, Université Robert Schuman ; ARTE.

Co-directeurs : Alain Chanel (CUEJ), Ghislaine Glasson Deschaumes.

Conseillers pour le programme : Jean-Marie Haeffele (l’Alsace), Jacques Laurent (ARTE), Georges Heck (Maison de l’Image).

Chargée de projet : Catherine Perron.

Coordination : Sébastien Babaud, Gökhan Soydas.

Avec la Maison de l’Image.