XVIIIème Université d’été francophone en sciences humaines

Passer les frontières (le réel, le symbolique, l’imaginaire), du 5 .au 25 septembre 2001 à Strasbourg (France)


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Co-organisée avec l’Université Marc Bloch, en collaboration avec la Maison de l’Image et le Conseil de l’Europe. Avec le soutien de : Ministère français des Affaires Etrangères, Conseil de l’Europe, Die Robert Bosch Stiftung, Conseil régional d’Alsace, Conseil général du Bas-Rhin, Fondation Charles Veillon.

 

 

Conclusions générales


L’université d’été organisée avec l’université Marc Bloch, pour la sixième année consécutive, a réuni 29 étudiants en 3ème ou 4ème année d’études en sciences humaines et politiques de tous les pays de la région, sauf Chypre, où il est rare de pouvoir recruter des étudiants francophones. Comme tous les ans, le choix des participants a été fonction de leur forte implication dans le domaine des études et de la recherche, et de leur degré d’engagement dans la société civile.

Cette année, Transeuropéennes et l’université Marc Bloch peuvent se féliciter d’avoir accueilli un groupe remarquable, amoureux du savoir, au sein duquel de nombreux individus se sont affirmés par une grande curiosité, par un niveau élevé de compétences et de connaissances théoriques, et par une bonne maîtrise de la langue française. Ils ont également exprimé le souhait de poursuivre le travail de l’université d’été en créant des groupes de recherche et de discussion, en projetant de futures rencontres dans la région, en proposant des idées d’écriture ou de collaboration au sein de revues déjà existantes ou à créer.

Un point doit néanmoins être remarqué : les participants, surtout au début de l’université d’été, ont eu de la difficulté à développer des discussions ouvertes autour des problèmes politiques réels. Ils semblaient chercher à éviter les conflits ou à se réfugier dans une logique de l’oubli ou de l’indifférence feinte. Néanmoins, lorsque nous étions, par une intervention, un document ou des événements survenus pendant l’Université d’été, confrontés à l’urgence d’une discussion, des tensions puissantes se sont révélées qui n’ont pu être verbalisées et résolues qu’à travers une implication laborieuse des intervenants ou modérateurs. Signe qu’après les blessures et les rancoeurs accumulées dans le passé, le développement d’une culture de discussion exige beaucoup d’effort et de patience.

 

L’actualité de la frontière

La question des frontières faisait souvent l’objet des discussions des Universités d'été 2000 dont l'intitulé était "Peut-on se débarrasser du passé". La grande actualité de ce problème motivait donc la nécessité d’y consacrer des recherches et des études plus approfondies. Cette intuition a été confirmée par l'intérêt et l'enthousiasme avec lesquels les intervenants invités ont accueilli la proposition de la problématique élaborée en groupe de travail préparatoire avec les enseignants de l’université Marc Bloch.

Sur le plan formel, l’orientation inter- ou transdisciplinaire, qui constitue depuis le début l’un des principes fondamentaux de nos Universités d’été, s’est présentée comme une première réponse à l’exigence de questionner l’évidence ou le caractère “ naturel ” des frontières, en l’occurrence celles entre les disciplines ou les sphères des connaissances. Sur le plan du contenu, cette approche a permis de multiplier les approches sur la problématique choisie. Transeuropéennes et l’université Marc Bloch ont donc souhaité bénéficier des contributions des intervenants travaillant dans les domaines aussi variés que la géographie, les sciences politiques, l’histoire, la philosophie, l’anthropologie, l’étude des religions, la littérature et l’art. La diversité des recherches proposées a ainsi contribué à complexifier la notion de la frontière et à la présenter comme “ flottant ” entre les dimensions du réel, du symbolique et de l’imaginaire.

La situation frontalière effective du projet de l’université d’été a permis de porter l’attention sur la complexité des frontières – visibles ou invisibles, extérieures ou intérieures – dans le Sud-Est de l’Europe, mais aussi en Alsace, et de mettre ainsi en parallèle des histoires collectives ou individuelles difficiles. Elle a également donné lieu à une réflexion croisée sur les manières de les dépasser ou d’en conserver la mémoire, dans deux régions qui ont été des lieux des conflits majeurs dans l’histoire plus ou moins récente histoire européenne.

 

Les réflexions des étudiants sur la frontière

Chacun des étudiants a dû proposer une réflexion tournant autour du thème “ Passer les frontières : le réel, le symbolique, l’imaginaire ”. Cette réflexion sous une forme écrite a donné lieu à une production de laquelle ressortait une image assez homogène - de la notion de frontière telle que perçue par des étudiants des Balkans. De même, parallèlement à l’énoncé théorique des notions, les descriptions de la réalité des frontières vécue par les étudiants se recoupaient.

 

La frontière comme arbitraire de la séparation. La frontière apparaît tout d’abord comme arbitraire. En effet, si elle a été édifiée comme une séparation et établit donc une distinction entre les habitants des deux côtés, elle n’est jamais qu’une séparation de semblables, phénomène plus particulièrement observable dans la région des Balkans. La frontière ne correspond donc pas à une ligne pertinente de séparation de cultures, bien au contraire, elle est fixée de manière arbitraire pour des raisons politiques (MY).

EM, de Macédoine , a décrit toute l’absurdité que pouvait entraîner cette limite. Durant la guerre civile grecque, une partie de sa famille, originaire de la Macédoine dite “ égéenne ”, a fui vers la Macédoine yougoslave. La fixation des frontières a rendu très difficiles les relations entre les familles séparées, non seulement durant l’ère communiste, mais encore dans les années quatre-vingt-dix, lorsque la Grèce retardait l’adoption de relations normalisées avec la Macédoine issue de l’ex-Yougoslavie (FYROM). Toutefois, malgré son artificialité, la frontière n’en produit pas moins des schémas intellectuels qui sont tout aussi difficiles à remettre en cause. La similarité de peuples voisins est effacée au profit des différences répertoriées a posteriori.


Les frontières intérieures. La frontière est donc aussi dans les esprits, comme il ressort de nombreux travaux d’étudiants. DD rappelle la délimitation des frontières internes dans et aux alentours de Sarajevo durant le conflit. La paix revenue, les habitudes de fréquentation des territoires persistaient, impliquant des ségrégations spatiales.

Marquée par la ségrégation, la question des communautés Roms dans les Balkans et en Europe orientale n’est pas passée sous silence par les étudiants de l’Université d’été qui en ont une conscience remarquable. SS souligne l’effort nécessaire à accomplir pour intégrer une population largement marginalisée. Toutefois, si d’autres étudiants abordent la question, ils n’évitent pas pour autant les écueils de la stigmatisation des différences des “ minorités ” en général.

Les frontières intérieures ont été aussi identifiées dans l’Union européenne de manière audacieuse par MY. A Paris notamment, où les zones de tarification dans les transports publics fixent des frontières aux voyageurs. Les outrepasser sans droit (sans titre de transport adéquat) est source de conflit potentiel avec les autorités et la loi.

 

La frontière comme sanction et domination. Le cas extrême de la sanction possible à l’occasion d’un passage de frontière a été énoncé par DD lors des dangereux déplacements dans Sarajevo assiégée sous les armes des tireurs embusqués ou snipers. Mais la sanction se décline le plus souvent en expulsion ou refus de franchissement par les autorités compétentes.

Sanction et passage traduisent la domination. La frontière considérée comme stable permet d’identifier celui qui désire la franchir, sollicite l’autorisation de son passage et se met dans une situation d’infériorité vis-à-vis des autorités traitantes et des corps de contrôle. Sa liberté en est diminuée d’autant (MD).

Les souvenirs d’enfance de MH sont émaillés de cette domination. Le franchissement de la frontière entre la Yougoslavie et l’Italie était souvent effrayant et humiliant par le regard inquisiteur des douaniers yougoslaves et celui, méprisant, de leurs confrères italiens.

De fait, l’obtention d’un visa et le franchissement d’une frontière se traduisent le plus souvent par une frustration prompte à se transformer en ressentiment à l’égard des pays “ désirés ” pour les populations des Balkans et de l’Europe orientale (EM). Cette attitude renvoie directement aux relations entretenues avec l’Union européenne.

 

L’intégration dans l’Union européenne et la frontière. La période communiste a largement contribué à fermer les frontières entre l’est et l’ouest de l’Europe. Le cas le plus extrême est celui de l’Albanie, pays où la frontière a été la plus “ sacralisée ”, entraînant une sanctification du dedans et une quasi-exécration du dehors - dehors qui restait d’ailleurs mystérieux à la plus grande partie de la population albanaise. La fin du communisme s’est accompagnée d’une volonté d’ouverture du pays et des esprits sur l’extérieur, mais, cette fois-ci, ce sont les frontières des pays tiers qui sont restées imperméables (NR).

Ainsi, après avoir été un point de friction et de séparation entre l’Empire ottoman et les Etats chrétiens d’Europe, puis entre le monde communiste et le monde capitaliste, les Balkans et l’Europe orientale représentent la limite au-delà de laquelle se trouvent les pays riches d’Europe, et, cela, malgré la similitude des peuples. La nouvelle frontière est identifiée comme étant celle de Schengen (AK).

Le thème des rapports entre la frontière, l’Union européenne, les Balkans et l’Europe orientale revient de manière récurrente dans une grande partie des travaux des étudiants. Le questionnement central tourne autour de la contradiction entre les discours sur l’intégration de l’ensemble des pays d’Europe dans l’Union européenne et le libre accès aux Etats membres de l’Union des ressortissants d’Europe de l’Est et des Balkans. Que suppose donc l’intégration à l’Union ? Quels seront les compromis, voire les sacrifices à faire afin d’être intégrés et de voir la frontière abolie ? L’Union européenne souhaite-t-elle réellement l’intégration des pays d’Europe de l’Est et du Sud-Est ?

 

Méthodes de travail

Les cours magistraux, suivis d’une discussion avec les intervenants, ont eu lieu une fois par jour, avec un intervenant différent chaque jour. Les cours qui ont été accueillis avec le plus d’attention étaient ceux qui touchaient à des réalités concernant les participants au plus près, qu’il se soit agi de l’histoire, de la géographie ou de l’anthropologie des Balkans, de la problématique urbaine ou encore celle des religions. Toutefois, les cours plus conceptuels en apparence, et qui exigeaient une grande concentration, ont été reconnus comme nécessaires et ont réellement contribué à enrichir et préciser les réflexions et débats.

Avant l’arrivé des participants à Strasbourg une demande leur à été adressée : chacune et chacun devait préparer un récit sur le passage effectif d’une frontière, visible ou invisible. Le matériel apporté suite à cette proposition était riche et diversifié : certains ont effectivement apporté des récits de leur expérience, alors que d’autres proposaient des textes plus théoriques relevant de la problématique (parfois de manière éloignée). La rareté du matériel visuel et l’absence d’objets pouvant témoigner de la réalité des frontières dans leur environnement a été regrettable, car ils auraient pu stimuler davantage les recherches purement théoriques. Le travail dans les ateliers a été en bonne partie consacré à la présentation de ce matériel et aux discussions qu’il suscitait. D’autres ateliers ont été consacrés aux discussions sur l’actualité, notamment après les attentats du 11 septembre aux Etats Unis, et autour des films que nous avons visionnés.

 

L’Allemagne : croisement des regards transfrontaliers

Un accent particulier a été mis sur le passage de la frontière sur le Rhin, une frontière devenue ouverte aujourd’hui mais qui a pu être, nous le savons, l’enjeu et le symbole de conflits violents dans le passé. Les activités hors les murs ont essentiellement consisté à créer des possibilités de rencontre en Allemagne avec des institutions et des individus dont l’activité est consacrée aux projets de coopération et d’échange transfrontaliers.

Le travail transfrontalier de deux universités allemandes a ainsi été mis en lumière. L’Université de Fribourg, engagée avec l’Université Marc Bloch dans le programme EUCOR, dont le fonctionnement a été exposé aux étudiants, a accueilli le groupe pour une demi-journée de travail particulièrement riche. Une intervenante, professeur d’histoire à l’Université Européenne Viadrina de Frankfurt am Oder a mis en lumière ce remarquable projet qui articule acquisition des savoirs et conscience européenne, et qui, à la frontière entre l’Allemagne et la Pologne ,se présente comme “ un pont entre l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest ”.

A l’Akademie Schloss Solitude (près de Stuttgart) centre culturel de rencontre à vocation internationale, c’est avec des artistes résidents que les étudiants ont pu s’entretenir, échanger, imaginer. Grâce à eux, à leur goût de la rencontre avec les participants de l’université d’été, et grâce à l’accueil et l’implication chaleureux de Jean-Baptiste Joly, cette expérience a été d’une richesse remarquable.

Avec un jeune artiste strasbourgeois, Nicolas Boulard, c’est enfin sur le pont du Rhin, à pied, que les étudiants ont fait une expérience ludique du passage à pied de la frontière franco-allemande, comme en témoigne un document vidéo réalisé par l’artiste lui-même.

 

L’interdisciplinarité et le cinéma

A Strasbourg, le projet a bénéficié une nouvelle fois d’une riche collaboration avec la Maison de l’Image et l’association Vidéo les Beaux Jours, qui s’est chargée de la programmation de films documentaires en phase avec la thématique. Une nouvelle fois aussi, l’équipe de coordination a pu mesurer l’enrichissement du travail par le film documentaire ou de fiction, qui conduit à des discussions souvent approfondies, parce qu’il déjoue la position préétablie des spectateurs, ouvre des voies de réflexion au-delà des champs d’autocensure, etc…

Venu présenter son dernier film (documentaire) Fortress Europe (2001) aux étudiants des deux universités d’été, le cinéaste Zelimir Zilnik, de Novi Sad, a, au fil des discussions avec eux, relié le travail du cinéaste et le réel, interpellant les étudiants sur leur ancrage dans les réalités de leurs propres sociétés et de l’Europe, les invitant à porter leur regard sur ces dernières et à se situer par rapport à elles.

Implication dans une vision de l’Europe moins schématique, plus en débat. Tel était l’objectif d’une visite et discussion au Conseil de l’Europe ainsi qu’à la Cour Internationale des Droits de l’Homme. Les étudiants ont été très vivement impliqués dans la discussion proposée au sujet de l’actualité politique dans l’Europe de Sud-Est, notamment du point de vue de la question des minorités. Ils ont aussi pu relier leur inscription dans l’Europe à une réalité politique existante, qui est une réalité d’intégration effective.

 

Synthèse réalisée par Ana Samardzija et Christophe Ingels

 

 

Les intervenants


Roselyne Baffet
, maître de conférence en littérature comparée, université Marc Bloch (Strasbourg) ; Antonia Birnbaum, philosophe (Toulouse) ; Nicolas Boulard, artiste-graphiste (Strasbourg) ; Montserrat Enrich Mas, chef de l’unité de recherche, Cour européenne des Droits de l’homme (Strasbourg) ; Ghislaine Glasson Deschaumes, directrice de Transeuropéennes (Paris) ; Luc Gwiazdzinski, géographe, professeur associé de géographie à l’université Louis Pasteur de Strasbourg (laboratoire Image et Ville), Directeur de la Maison du Temps et de la Mobilité à Belfort ; Marc Crépon, professeur de philosophie et chercheur, Ecole Normale Supérieure (Paris) ; Georges Heck, directeur de la Maison de l’Image (Strasbourg) ; Hans Peter Furrer, envoyé spécial pour la RFY, Conseil de l’Europe ; Jean Hurstel, Directeur du Centre de jeune création “ La Laiterie ” (Strasbourg) ; Michael Ingledow, conseiller de programme, direction des Affaires politiques du Conseil de l’Europe (Strasbourg) ; Jean-Baptiste Joly, Directeur du centre culturel de rencontre Akademie Schloss Solitude (Stuttgart) ; Claudia Luciani, chef de division, Direction des Affaires politiques au Conseil de l’Europe ; Jean Luc Nancy, professeur de philosophie à l’université Marc Bloch (Strasbourg) ; Daniel Payot, professeur de philosophie, président de l’université Marc Bloch (Strasbourg) ; Maurice Sachot, professeur en sciences de l’éducation, directeur de l’UFR de philosophie, de linguistique, d’informatique et des sciences de l’éducation (Strasbourg) ; Svetlana Slapsak, professeur d’anthropologie à l’Institutum Studiorum Humanitatis (Ljubljana) ; Léon Strauss, professeur émerite d’histoire contemporaine à l’Institut d’Etudes Politiques (Strasbourg) ; Georges Prevelakis, professeur de géographie, université de Marne-la-Vallée ; Helga Schultz, professeur d’histoire à l’université Viadrina (Frankfurt / Oder) ; Zelimir Zilnik, cinéaste (Novi Sad).

 

 

Les partenaires


Université Marc Bloch, U.F.R. de Philosophie, Linguistique, Informatique, Sciences de l’Éducation.

Co-directrices : Roselyne Baffet, Ghislaine Glasson Deschaumes.

Chargés de projet : Silvie Camil, Sébastien Babaud.

Coordinatrice scientifique : Ana Samardzija.

Assistante de production : Emeline Simien.

Programmation hors les murs : Sanja Lucquet-Basaric.

Coordination locale : Calliope Stephanaki.