Une émancipation partie droit dans le mur

Lecture du printemps féministe au Yémen

Arwa ABDO OTHMAN

Traducteur : BONTEMPS Nathalie


Durant de longs siècles, le Yémen resta scindé en nord et sud, eux- mêmes subdivisés en sultanats, territoires sous autorités des cheikhs et des tribus, tous en lutte les uns avec les autres, et gouvernés par la seule logique de la domination. Réconciliation tribale, trêve ou compromis précaire étaient les éternelles réponses, avant que les deux parties ne se remettent à s’entretuer de manière encore plus brutale. Voici malheureusement ce Yémen qu’on appelait autrefois « l’Arabie heureuse ». La pauvreté, l’analphabétisme, les armes et la sécheresse ravagent encore sa terre et ses hommes, au vingtième comme au vingt et unième siècle. Un Yémen sans infrastructures, sans théâtre, ni cinéma, ni conservatoire. Un Yémen dont toute la diversité naturelle et humaine s’est réduite à une poignée de maux : la pauvreté, un régime clanique et corrompu,  des pôles d’influence qui monopolisent toutes les facultés du pays et se les partagent.
Quels sont ces pôles d’influence qui ont dominé le pays pendant de longues décennies ? Il s’agit de la nébuleuse traditionnelle unissant corps et âme les tribus, les territoires sous autorité des cheikhs, les militaires et l’institution religieuse. Cette nébuleuse exerce toujours sa suprématie sur tous les points clés du Yémen. A chaque initiative pour mener un changement aboutissant à un état de droit, à des institutions, à une citoyenneté égale pour tous, à une justice sociale etc., ces forces se mobilisent promptement afin de l’anéantir.


C’est ce qui s’est passé avec le président martyr Ibrahim al-Hamdi (1974-1977). Ce dernier essaya progressivement de limiter leur champ d’action. Timide dans ses premières tentatives, il entreprit ensuite de poser des bases légales à l’état. Mais il eut tôt fait d’être fauché par une mort spectaculaire dont le Yémen garde le souvenir jusqu’à ce jour.
En revanche, le régime d’Ali Abdallah Saleh (1978-2012) garda le contrôle sur l’état ainsi que sur le Congrès populaire général (CPG) , dominant ainsi pendant plus de 33 ans tous les postes clé de l’état et des institutions. Il faut attribuer cette extrême longévité à sa recette géniale pour apprivoiser le trône : connaître les ambitions des pôles d’influence et les réaliser. En d’autres termes : être de mèche avec les tribus et gaspiller les ressources de l’état au service de cette connivence. Tel est le secret d’un pouvoir éternel, ou de ce que Saleh appelait : « danser avec les serpents».


Le 22 mai 1990 fut réalisée l’union des deux parties en un ensemble nommé  république du Yémen. C’était une sorte de bouée de sauvetage pour les deux pays. En effet, le Parti socialiste du sud, qui dirigeait un état reposant grandement sur les aides de l’Union Soviétique, se trouva dans l’impasse après la chute de cette dernière. Le Congrès populaire général, pour sa part, avait vieilli précocement. L’unité fut donc une façon de tirer les deux parties d’affaire.


Rêve des foules au nord comme au sud, elle ne dura pourtant pas. Ce fut une unité de façade qui creusa encore plus les divisions. Pour le régime d’Abdallah Saleh, le sud était un butin dont il fallait s’emparer. Des voix s’élevèrent contre cette spoliation, et la réponse fut la guerre. En 1994, Saleh lança une offensive nommée « guerre contre l’apostasie et le séparatisme ». Appuyé par les tribus ainsi que par l’institution religieuse et militaire incarnée par le Rassemblement yéménite pour la réforme (al-Islâh), il renversa le Parti socialiste. La victoire fut remportée le 7 juillet 1994.


Le parti al-Islâh, dirigé par le cheikh Abdallah ben Hussein al-Ahmar, est un parti dogmatique, fondamentaliste, tribal et militaire. Ainsi qu’il est mentionné dans les mémoires du cheikh al-Ahmar, c’est sur une suggestion du régime de Saleh qu’al-Islâh s’est constitué, le 13 septembre 1990, pour former un front contre le Parti socialiste. Après l’unité des deux Yémen en 1990 apparurent beaucoup de partis politiques clandestins, en plus de petites formations plus anciennes, mais le Congrès populaire général et al-Islâh restèrent les deux partis les plus forts. Ce fut ce duo qui mena la guerre contre « l’apostasie et le séparatisme », à partir d’une fatwa promulguée en 1994 par al-Islâh, dont les milices furent au premier plan dans cette entreprise.


Après que le succès de son alliance avec al-Islâh lui ait donné la victoire le 7 juillet 1994, le régime de Saleh prit possession de toutes les ressources du sud. Emporté par l’ivresse du triomphe, il abandonna son allié et se replia sur le Congrès populaire général. Dans le but de contrer la domination de ce dernier, Al-Islâh entra alors, le 6 février 2003, dans une coalition appelée le Forum commun (al liqa’ al-mushtarak »). Outre al-Islâh, cette coalition  regroupait le Parti socialiste yéménite, l’Organisation populaire et unitaire nassérienne, le parti Baath arabe socialiste et nationaliste, le parti al-Haqq, le parti du Rassemblement, et l’Union des forces populaires. A son tour, al-Islâh régnait en maître sur les autres formations politiques du Forum commun. Il canalisait en effet les forces des tribus, des militaires, et des cheikhs aptes à promulguer des fatwas, parmi lesquels des noms figurant sur la liste du terrorisme international comme celui d’Abd el-Majid al-Zindani.

Les débuts


Sous l’effet de ce qu’on a appelé « le printemps arabe » : des protestations populaires à Tunis et en Egypte, les foules yéménites sont elles aussi sorties dans la rue pour contester le régime de Saleh, sous le slogan « le peuple veut la chute du régime ». Les protestations ont pris de l’ampleur dans la plupart des villes du Yémen. Les partis du Front commun se sont alors mobilisés avec tous leurs cadres pour descendre sur les places et tenter de récupérer discrètement le printemps révolutionnaire de la jeunesse. La récupération a atteint son apogée quand une partie de la cellule militaire du régime a fait défection, et que la première division  blindée, conduite par le général Ali Mouhsin, a rejoint les places révolutionnaires le 21 mars 2011. Cet événement a eu lieu aussitôt après le « massacre de la dignité » du 18 mars 2011 , raison pour laquelle les hommes du général Mouhsin ont été surnommés « les protecteurs de la révolution ». La polarisation militaire a commencé, laissant présager des affrontements qui ont éclaté à Sanaa en juillet 2011. Une guerre cyclique s’en est suivie entre le régime et ses déserteurs, jusqu’à ce que « l’initiative du golfe », une opération internationale signée le 23 février 2011, permette au Yémen d’échapper à la guerre civile dans laquelle il était en train de s’engouffrer.


Mais aucun nouveau régime n’a été construit, ce qui nous permet d’affirmer à postériori que ce qui est advenu n’a été qu’une crise, et non une révolution parvenant à transformer le régime corrompu qui a gouverné le pays durant trente-trois ans. Ainsi la transition du pouvoir a eu lieu entre l’ex-président Saleh et Abd Rabbo Mansour Hadi lors des élections du 21 février 2012. Puis a commencé la préparation d’une Conférence de dialogue national, ce dont s’occupe le « Comité technique de préparation de la conférence générale du dialogue national », créé le14 juillet 2012. Ce comité représente de nombreux acteurs parmi les partis au pouvoir ou dans l’opposition, les mouvements du sud dans leur diverses composantes, des représentants de la rébellion houthiste  et des organisations de la société civile. Le peuple compte  sur ce dialogue, censé se tenir prochainement, pour sortir le pays de l’impasse.


Depuis fin 2012 on assiste à une surenchère des polarisations entre les centres d’influences du passé, qui cherchent à s’emparer de l’avenir. Plus la date de la Conférence du dialogue national approche, plus ils se bousculent pour envoyer dans la rue leur arsenal guerrier, proclamant le début d’une guerre de tous contre tous. Ils s’entredéchirent afin d’obtenir de plus grosses parts, mais aussitôt s’interposent les forces internationales et les garants de l’initiative du golfe, qui font pression sur eux afin que la Conférence du dialogue national se déroule dans un climat de paix et de sécurité.
Un printemps kidnappé avant de fleurir


Quand les foules descendirent sur les places le 15 janvier 2011, unies autour de la revendication « Une vie digne dans un état civil  et moderne », scandant les slogans : « dégage ! », « le peuple veut la chute du régime », « pacifisme ! pacifisme ! », on ne savait pas qui était ces manifestants, quelle était leur identité, leurs références politiques, religieuses et culturelles, ce qui les propulsait et les orientait. Il n’y avait pas de guide-leader, de héros-symbole. Le changement était la revendication de tout homme et de toute femme, de tous les âges et de tous les milieux. « Sur la place Tahrir, j’ai ressenti pour la première fois que la femme était l’égale de l’homme », a ainsi déclaré la féministe égyptienne Nawal Saadawi.
Ce fut le visage lumineux du printemps révolutionnaire, qui incarna l’égalité dans l’espace de ce carré dessiné par la place, et ouvrit une nouvelle page dans l’histoire des luttes collectives. Malheureusement, à peine quelques semaines plus tard, on a vu ce printemps se militariser, s’enferrer dans les idéologies religieuses, militaires et tribales. Les places ont été englouties dans le déluge d’un combat de dogmes. Les « protecteurs de la révolution », ceux-là même qui étaient descendus sur les places pour défendre les révolutionnaires, ont poignardé le printemps.


Femmes sans visages


La moitié des habitants du Yémen vivent sous le seuil de pauvreté . Plus de la moitié de la population sont des femmes, chez qui le taux d’analphabétisme atteint 65% . Leurs vies sont dévastées par la pauvreté et le mariage précoce, qui cause lui-même l’abandon précoce de l’école. Il faut aussi mentionner l’absence de soins médicaux. Le Yémen est prisonnier d’une structure tribale qui en fait l’un des pays les plus arriérés au monde. Ses eaux sont pillées, il est rongé par la sécheresse et par une corruption complexe et galopante dans toutes ses institutions. La structure tribale qui sous-tend le pays a quantité d’implications morales et matérielles : les armes, le fanatisme, la religion, le cat, les vendettas, la « jibaya » , les concepts de pouvoir, les valeurs de patriarcat, d’honneur, et les notions de honteux et d’illicite qui en découlent. C’est la religion wahhabite qui gère la vie actuelle jusque dans ses moindres détails. Cette religion s’appuie elle-même, sous prétexte de coutumes, sur une combinaison d’ignorance et de fermeture d’esprit, devenue un investissement économique et guerrier. Dans un tel climat, la situation des femmes se détériore autant que celle du pays. La plupart des femmes et des petites filles portent le niqab et ne peuvent se déplacer sans l’autorisation de leur « tuteur » . Ce dernier est légitimé par la coutume, mais aussi par la loi.


La guerre contre « l’apostasie et le séparatisme », menée par Sanaa en 1994 contre le Yémen du sud sous le slogan « l’unité ou la mort », renversa aux yeux de tous une unité pacifique qui s’était réalisée en 1990. Cela eut de terribles conséquences pour l’ensemble du peuple des deux Yémen, particulièrement pour les femmes. Cette guerre brisa toutes les revendications et tous les acquis obtenus par les femmes du sud avant et après l’indépendance de 1967. Elles avaient en effet obtenu, après 1967, une loi des plus importantes : « la loi de la famille », dont on disait qu’elle arrivait juste derrière la loi du statut personnel à Tunis. Dans cette guerre d’éradication, les forces réactionnaires dominantes mirent à contribution les juristes du droit musulman aptes à émettre des fatwas, les cheikhs tribaux, les généraux, et leurs affidés au parlement. Ensemble, ils se retournèrent contre la constitution rédigée lors de l’unité de 1990, et, en y insérant des articles correspondant à leurs orientations idéologiques, ils la changèrent en un texte « conforme à la loi islamique » (ou chari‘a), dans un sud athée et communiste !


La discrimination ouverte contre les femmes apparut lors de l’amendement de l’article traitant de « l’égalité des citoyens  ». Ce dernier stipulait en effet : « Les citoyens sont égaux en droits et en devoirs, sans aucune espèce de discrimination ». Après 1994 il fut amendé ainsi : « Les femmes sont les sœurs des hommes, leurs droits et leurs devoirs sont prescrits par la loi islamique. » De même, on annula en 1999 le texte de loi interdisant le mariage des filles de moins de quinze ans. Il fut remplacé, en 2010, par un article vague ne précisant pas d’âge limite. On fit échouer le projet des organisations féministes de reporter l’âge légal du mariage à dix-sept ans. Sous la pression des extrémistes, le parlement renvoya le projet. Le parlement arrêta également le projet de loi « d’assurance maternité » qu’il prévoyait d’octroyer aux femmes pendant la période de la grossesse et de l’accouchement .


Pendant des décennies, les femmes n’ont participé à la vie publique qu’en tant qu’électrices. Après l’unité de 1990, deux portefeuilles ministériels non régaliens leur ont été attribués : les droits de l’homme et les affaires sociales. Durant la période de transition, en 2011, on leur attribua un nouveau portefeuille : celui du ministère de l’état. Aux élections de 2003, deux femmes sont entrées au parlement. A celles de 2006, une seule candidate a été élue, pour 301 hommes. C’est le cas jusqu’au jour d’aujourd’hui. Quant aux clauses de l’initiative du golfe, elles ont réaffirmé la participation des femmes à un minimum de 30%, particulièrement dans les pôles de décision. Dans le Comité de dialogue national de la période de transition, en 2012, on trouvait 6 femmes pour vingt-cinq hommes.


A la recherche du printemps perdu


Le 15 janvier 2011, le Yémen entra dans ce qu’on a appelé la révolution du printemps. Elle était contemporaine de la fuite de Zine al-Abidin ben Ali de Tunisie, et elle fleurit en même temps que la révolution du 25 janvier en Egypte. En février, les places débordaient de femmes, collaborant avec les hommes de façon éblouissante. L’objectif était clair : « chute du régime », « liberté, changement, construction d’un état civil et moderne ». Même la prière était menée dans un seul espace, sans que rien ne sépare hommes et femmes. La première tente à être plantée sur « la place du changement » , le 20 février 2011, contribua considérablement à la présence féminine, notamment en permettant aux femmes de passer la nuit sur les lieux. Phénomène inédit au Yémen : les hommes retrouvaient leur famille sur la place, et ils se partageaient les rôles et les tâches jusqu’au milieu de la nuit. Certaines de ces femmes dormaient d’ailleurs sur la place depuis le premier jour des manifestations. Preuve en est que la première tente à avoir été plantée fut celle de l’éducatrice Farida, surnommée « la mère des révolutionnaires », et de ses enfants. Elle abritait environ trente femmes. Ainsi qu’elle le dit dans un entretien, Farida n’a pas quitté sa tente, et encore moins la place, durant quatre mois. Puis les tentes de femmes se sont multipliées.
Sur les places de la révolution, on fit à peu près les mêmes choses que dans les autres pays du printemps arabe. Une sorte d’action standard se répéta : on fit la cuisine, on fit des collectes de fonds et de médicaments, on scanda des slogans, on manifesta, on nettoya les places, on procéda à des fouilles, on organisa la protection des femmes dans les manifestations en formant des barrières humaines autour d’elles, ce en quoi les femmes d’Islâh, très bien entrainées, étaient imbattables.
L’action la plus spécifique, si l’on peut dire, consistait à photographier, filmer, conduire les manifestations, communiquer avec les médias, faire connaître la révolution dans les cercles internationaux. Ce sont ces femmes yéménites au visage invisible qui ont participé aux manifestations avec les hommes, et les ont parfois conduites. Elles ont été victimes de nombreuses exactions flagrantes : frappées jusqu’au sang, taxées de traitresses et de mécréantes. Certaines sont mêmes tombées en martyres dans la ville de Taez. Sans compter celles qui ont perdu la personne qui entretenait leur foyer, leurs enfants, leurs mari. Elles ont continué le combat, même quand le pouvoir s’est divisé en « régime » et « révolution » désormais représentée par al-Islâh. A cette occasion, la violence systématique contre les révolutionnaires augmenta encore, surtout contre les femmes. Plus leur présence sur la place était diverse et remarquable, et plus on s’acharnait à leur nuire.


La première exaction documentée commise contre les femmes de la part des militaires du régime remonte au 23 janvier 2011, quand l’écrivaine et activiste Tawakkul Karmân a été arrêtée . Puis Samia al-Aghbari et sa sœur Fatima al-Aghbari, toutes deux également écrivaines et activistes, furent molestées le 13 février 2011 .

Cordes et barrières


Durant les premières semaines du printemps, les places « de la liberté » et « du changement » au Yémen s’étendirent jusqu’à environ dix-sept gouvernorats. Toutes étaient remplies de femmes de différents milieux, venues par centaines. Elles furent victimes de harcèlement et d’exactions, visibles ou non. Ces actes semblaient à première vue isolés et anodins, bien qu’ils viennent parfois de l’estrade dressée sur la place, « tribune  de la révolution une et indivisible » : celle du parti al-Islâh. L’un d’eux, par exemple, cita un jour dans son sermon le Hadith : « les femmes nues malgré leur vêtement » . Devant la clameur de réprobation des femmes de la place, arriva un autre qui rétorqua : « Pourquoi protestez-vous ? Dieu ne nous donnera pas la victoire tant que vous vous montrerez sous cette apparence ! » La grande majorité des femmes portaient pourtant le sharshaf yéménite traditionnel : voile et niqab. Seule une minorité avaient le visage découvert.


Dès qu’elle exista, l’estrade du parti Islâh s’arrogea le monopole du discours « révolutionnaire », et poursuivit une orientation fondamentaliste et fanatique. Ce phénomène a pris de l’ampleur et dure jusqu’à aujourd’hui. Dès le premier jour, on consacra des appellations à connotation religieuse afin d’y confiner les femmes : « sœurs » , « libres » , « glorieuses », « cristallines » , « servantes de Dieu  ». On se concentra sur l’adoption d’un discours appelant au retour du califat. On convoqua le Jihad et ses invasions. On convoqua encore légendes et miracles pour les mettre au service du fanatisme et du chauvinisme de « la meilleure Communauté »  . Les prédicateurs en question étaient connus pour leur extrémisme religieux. Ainsi se désagrégèrent les notions de citoyenneté, de justice sociale, d’égalité, d’état civil etc. Le plus célèbre de ces sermons fut probablement celui d’Abd al-Majid al-Zindani, directeur de l’université al-Iman et l’un des leaders d’Islâh, le 1er mars 2011.
Le discours fanatique « révolutionnaire » était abusif et hostile à l’égard de tout contradicteur. Ses premières victimes furent les femmes sur les places. Farida raconte : « Dès que j’ai planté ma tente et décidé d’y dormir, les vexations ont commencé. Sous prétexte de sollicitude. Sous prétexte qu’on avait peur de ce que les soldats du régime pourraient nous faire. Les troubles et les abus ont commencé  de façon flagrante la deuxième semaine, surtout quand les femmes se sont mises à déferler vers la tente et à insister pour y dormir avec leurs enfants ».


Une fois passés les premiers jours de la révolution, on commença à édifier des barrières pour séparer les hommes des femmes. Au début, c’était au moyen de cordes et de « barrières humaines », masculines ou féminines. La séparation atteint son apogée en mars, après le « massacre de la dignité », c’est-à-dire à l’arrivée des « protecteurs de la révolution ». Il faut entendre par là l’arrivée d’une partie de l’armée du régime, ayant fait défection sous la direction d’Ali Mouhsin et des forces traditionnelles. Ces dernières comprenaient des cheikhs de tribus et des fondamentalistes religieux. Parmi eux : Abd al-Majid al-Zindani, prédicateur terroriste, Mohammed al-Hazmi, champion du mariage des petites filles (qu’il avait légiféré au parlement), et Abd al-Wahab al-Daylami, homme ayant émis, pendant la guerre de 1994, une fatwa autorisant à tuer les Yéménites du sud.

Une corde de plus en plus rêche

Quand les « protecteurs de la révolution » ont débarqué sur les places, les barrières  entre hommes et femmes ont gagné en hauteur. On a instauré des tours de garde, et édifié une clôture autour du lieu de prière. On s’est mis à importuner les groupes de femmes, à surveiller leurs allées et venues, à fouiller les tentes, à examiner les buffets, l’hôpital de fortune, etc. La corde a fait place à une épaisse tenture, qui elle-même a fait place à une barrière en bois, qui elle-même a fait place à une barrière en fer et en ciment. Pour finir, on a eu affaire à une sorte de cage ou d’étable, cernée par des interdictions et des intimidations de toutes sortes, de peur qu’un homme, ou même un djinn, n’ose s’en approcher. Ainsi la cage était-elle en permanence attachée à une autre corde, invisible celle-là, celle du sermon venu de l’estrade.


Le pire, plus grave encore que ce contrôle et ces barrières de toutes sortes, c’est que cet état de choses est devenu familier et habituel. On a commencé  à voir des milices, (celles d’al-Islâh, de l’université al-Imân, ainsi que des militaires de la première division blindée), se promener avec leurs armes et leurs matraques. Ils se sont mis à interdire la mixité, à ordonner aux gens de faire la prière, pour finir par les frapper, les emprisonner, et, violence plus grande encore, les taxer de traitres et de mécréants.


A chaque fois qu’une nouvelle cloison s’élevait, les exactions s’aggravaient. Pour les femmes, ces abus étaient décuplés. Certains jeunes gens furent arrêtés au motif qu’ils se mêlaient aux femmes et les harcelaient, ou bien au motif qu’ils étaient « efféminés ». Ces jeunes « efféminés » ont pourtant été les premiers à tomber en martyrs. On ne compte plus les fois où les milices ont envahi les tentes d’habitation, ou bien celles où s’organisaient des activités culturelles et politiques, au prétexte qu’une promiscuité scandaleuse s’y pratiquait. Entre autres : la tente « jeunesse en action », la tente « citoyenneté pour tous », la « tente de la jeunesse libre », la « tente de Guevara », celles de « la jeunesse en résistance » etc.


Attaques contre les tentes, le pont, et Bouchra


Comme elle ne se conformait pas aux ordres, Farida a vu sa tente attaquée plusieurs fois depuis le début de la révolution. « Une femme est entrée dans la tente. Elle en a fermé l’entrée de l’intérieur, puis l’a ouverte de l’autre côté, qui donnait sur le mur du jardin de l’université, pour que les milices entrent et l’occupent» Raconte-t-elle. Farida a défendu sa tente. Les prétextes étaient toujours les mêmes : elle était accusée d’abriter des jeunes gens et des jeunes femmes dans des situations immorales, d’être une infiltrée des services de renseignements nationaux. Cette irruption dans sa tente donna le départ à de nombreuses autres irruptions mémorables, dont j’ai été témoin direct.


Lorsque le président de l’ancien régime Ali Abdallah Saleh prononça, le 14 avril 2011, son discours sur la mixité « place du changement », il déclara : « nous les invitons à interdire la promiscuité illicite qui se pratique rue de l’Université ». Des manifestations tumultueuses eurent lieu le 16 avril 2011 sur toutes les places du Yémen pour condamner son discours provocateur. On y scanda : « Ecoute bien, Ali, fumier ! On n’est pas des débauchés ! », « Dans notre combat commun, hommes et femmes ne font qu’un ! », « Ali ! Parle bien ou ferme-la!» etc. Pendant ce temps, et dans cette même manifestation hostile au discours de Saleh, la réponse du discours traditionnel salafiste sur la place n’était guère différente. Il fut même encore plus arriéré et sauvage, comme on le vit au cours du célèbre épisode appelé « l’attaque du pont ». Les milices d’al-Islâh, c’est-à-dire les révolutionnaires de la place, frappèrent les femmes activistes à coup de crosses de fusil, leur tirèrent dessus, les taxèrent de traitresses, de mécréantes, diffusèrent sur elles des rumeurs infâmantes. Ces atteintes au droit des personnes atteignirent un degré tel qu’il leur fut interdit de protester ou d’enregistrer un communiqué à propos de l’événement, au prétexte qu’il fallait préserver le camp révolutionnaire des défections, pour qu’elles ne puissent pas jouer dans l’intérêt de l’ennemi.


Comme toujours on minimisa l’épisode, on le qualifia d’accidentel, d’individuel, etc. Le peu de cas fait des abus commença à creuser une blessure profonde dans l’esprit des femmes, et ébranla la crédibilité de l’action révolutionnaire. Cette douleur se refléta dans les propos des femmes activistes, qui s’écrièrent avec défi et persévérance : « Une révolution qui maltraite et qui trahit n’en est pas une ! A bas une telle révolution ! » Elles commencèrent ensuite à écrire des communiqués et à les diffuser sur différents médias.


A cause d’un article qu’elle écrivit après « la marche de la vie  », le 20 décembre 2011, Bouchra al-Maqtari, une personnalité investie dans la révolution depuis le premier jour, fut décrétée mécréante et on autorisa que son sang soit versé. Avant cela, sur la place de Taez, elle et ses amis, hommes et femmes, avaient été l’objet de nombreuses attaques venues de la tribune. « Environ trois-cent hommes d’al-Islâh nous ont entourés, et sans l’intervention de certains, nous n’aurions pas pu nous en sortir. La campagne de répression et de diffamation contre moi s’est poursuivie sans trêve sur la tribune. Elle s’est encore amplifiée contre les idées présentées par la « tente de la jeunesse progressiste ». » « A chaque fois que nous organisions un colloque, nous avions la surprise de voir que les mosquées de la ville lançaient une campagne de « takfir  » à mon égard. »


Plus de soixante-dix oulémas dénièrent à Bouchra la qualité de musulmane. Une fatwa fut promulguée le 29 janvier 2012. Ils ne s’arrêtèrent pas là : ils demandèrent qu’elle reçoive le châtiment appelé par son apostasie, et qu’on lui retire la nationalité yéménite. Elle reçut aussi des menaces de mort, et sa famille fut l’objet de harcèlements. Bouchra a écrit un communiqué important, relayé par les médias , où elle décrit tout ce qu’on lui fait subir.  

L’automne de la période transitoire


Mais voici que l’initiative pour un compromis politique, sous des auspices régionaux et internationaux, est entrée en vigueur. Les élections ont eu lieu, le pouvoir a été partagé en deux. A-t-on mis pour autant un terme aux campagnes contre les femmes ? Non. Tout au contraire, elles se sont généralisées : dans la rue, au travail, dans les lieux de rassemblements, et les différents domaines de la vie publique. Si le harcèlement sexuel, le mariage des mineures, le déplacement forcé des femmes et leur assassinat ont toute leur place dans les guerres tribales et les guerres d’Al-Qaeda, ces phénomènes se retrouvent aussi dans les « guerres » que mènent entre eux les « pacifistes » de la place :  le parti al-Islâh, les partisans d’al-Houthi, et différents mouvements du sud. L’ancien régime, tout comme ses déserteurs, et enfin le régime l’ayant aujourd’hui remplacé, ont également les mêmes pratiques.


Les milices d’Islâh ont commencé à s’attaquer aux femmes n’appartenant pas au parti. Ainsi Amal al-Basha, rapporteuse de la commission du dialogue, fait face à l’adversité du dirigeant et parlementaire Mohammed al-Hazmi, auteur du projet de loi sur le mariage des mineures, lorsqu’il demande, sarcastique : « Qui est cette Amal al-Basha pour représenter les femmes du Yémen ?  » Il insinue par là qu’elle n’est pas voilée, et que d’autres qu’elles seraient plus même de représenter les femmes dans la commission du dialogue, comme, par exemple, Tawakkul Karmân.


De la même façon, Al-Zindani poursuit sa guerre contre les femmes et lance une attaque contre la ministre des droits de l’homme, les activistes pacifistes et les organisations des droits des femmes, les accusant de collaborer avec l’occident et de participer à un complot visant à laïciser le Yémen et à enfreindre la loi islamique. Il s’en est même pris à un groupe de prédicateurs, qu’il a taxés de « prédicateurs de la laïcisation  ».


Lorsque Jamal Ben Omar  déclara à propos des factions au pouvoir qu’ils « étaient en désaccord sur tout, sauf à propos des femmes », cette parole ne venait pas de nulle part. Ces « frères ennemis » sont en effet à l’unisson sur l’art de brutaliser le deuxième sexe. Après avoir lancé ses attaques contre les femmes des places, Hamid al-Ahmar , le « cheikh de la révolution », son financeur et protecteur, déclare : « On y voyait de mauvais comportements, qui avaient transformé la place en discothèque. Ces femmes veulent se promener main dans la main avec leurs amis et leurs amants dans les manifestations, c’est inacceptable, et contre notre religion  ». Il ne diffère ici en rien de son président sous l’ancien régime. Ils font tous deux partie d’un discours unifié, placé sous le sceau de « la chari‘a et de la religion ».


Au milieu de tout cela, les mouvements féministes et les organisations civiles prennent une posture de spectateur. « Il est désolant que ni les mouvements féministes, ni les organisations dédiées à la société civile et aux droits des femmes, aussi nombreuses soient-elles, ni le parti socialiste, auquel j’appartiens, n’aient pas diffusé le moindre communiqué, pour condamner les attaques dont je fais l’objet ou affirmer leur solidarité. J’ai eu le sentiment d’être abandonnée de tous », déclare Bouchra al-Maqtari. «  Quant aux autres, celles qui se prélassent à la direction des organisations, elles exploitaient ma cause devant les européens et les journalistes étrangers, mais en réalité elles n’ont strictement rien fait. Je m’étonnais de ce paradoxe . » Ajoute-t-elle. Malheureusement, ces propos de Bouchra reflètent tous les abus dont ont été victimes les femmes yéménites en 2011 et 2012.

« Mais qu’est-ce qu’elles font sur la place ? »

La situation des femmes au Yémén ne diffère qu’en terme de degrés  de ce qu’elle est dans les autres pays du printemps arabe : certaines sont mortes en martyres, certaines ont été molestées et emprisonnées, d’autres violées, etc. Nous avons vu dans certains pays les prémisses du succès du printemps se retourner finalement en leur contraire. En Lybie, à peine la révolution avait-elle triomphé que Moustapha Abdaljalil, président du Conseil National de Transition (CNT), déclarait dans son célèbre communiqué : « toute loi contredisant la chari‘a sera annulée. La polygamie, en particulier, deviendra légale ». Cette déclaration fut accueillie au cri de « Allah Akbar ! », avec des coups de feu tirés en l’air.


La même scène et le même discours se sont répétés en Egypte, avec les partisans de l’abrogation de la loi sur le divorce demandé par l’épouse , « au prétexte qu’elle participait à la destruction de la famille égyptienne, et au recul de la conscience  ». Il faut citer également les terribles atteintes à l’intégrité de la personne que sont les  tests de virginité et le retour de l’excision. Sans parler de la tentative d’abolition du  Conseil national des femmes, au prétexte que c’était l’un des symboles du régime, et qu’il était étroitement lié à la personne de Suzanne Moubarak. On rappellera encore l’absence de photos des candidates du parti des Frères Musulmans, au motif que montrer leur image était illicite. On mit des roses rouges à la place.


Quand le pouvoir est arrivé à la portée des Frères Musulmans égyptiens, des voix ont commencé à s’élever : « Mais qu’est-ce qu’elles font sur la place ? » « Vivement un président qui vous calme ! » « Restez à la maison ! » Quand Mohammed Morsi a été élu, la violence verbale s’est transformée en coups, injures, harcèlement sexuel. Tous les journaux et tous les médias se sont mis à déborder du récit de ces agressions contre les femmes en général, (et les non-voilées en particulier) : véritable phénomène menaçant de déchirer la société égyptienne. Les organisations civiles se sont mobilisées pour condamner le tour que prenait les événements .


Les femmes du Koweït n’ont pas échappé à ce qui arrivait à leurs sœurs dans les autres pays arabes. Des fatwas ont été promulguées pour leur interdire le droit de vote et les empêcher de briguer un mandat. Une artiste s’est vu fermer son exposition  trois heures après le vernissage . A Tunis, on a lutté de vitesse pour voiler et museler les femmes. On a assisté à l’émergence de partis salafistes comme le parti « pour imposer le port du Niqab », qui a chassé de son propre bureau la directrice de la radio religieuse de la Zeytouneh, au motif que « les femmes n’ont pas les compétences intellectuelles et scientifiques suffisantes pour gérer un média ». C’est cette même idée qui a présidé à l’incident au cours duquel deux professeures à l’école des Beaux-Arts ont été contraintes de réciter les deux Chahadas devant tout le monde, pour qu’on leur permette de sortir après les avoir menacées d’expulsion . Mais le plus terrifiant est ce qui se trame autour de la constitution, et  les tentatives de légiférer au sujet de l’âge du mariage et de la polygamie. Bahri Jelassi, président du Parti de l’Ouverture et de la Fidélité, demande à l’Assemblée Nationale Constituante d’adopter un texte déclarant que « tout Tunisien a le droit de prendre une concubine  aux côtés de son épouse ».  L’argument sur lequel il s’appuie est le suivant :  « rendre légal le fait d’avoir une concubine, ou « Jâria », est la meilleure solution pour ramener en Tunisie un équilibre social et moral affecté par la laïcité. »


Voici donc pointer la terreur d’un « réveil islamiste » porteurs de tels excès qu’il serait acceptable d’y débattre, par exemple, d’une loi nommée « le rapport sexuel de l’adieu », où il serait permis à l’homme de « faire des adieux » à sa femme décédée pendant les six heures qui suivent sa mort…


Le printemps a tout de même soufflé sur les femmes saoudiennes. Lors d’un pas jugé historique, l’héritier du trône saoudien a promulgué un arrêté permettant aux femmes de voter et de se porter candidates aux élections. Mais, par un cruel paradoxe, ces mêmes saoudiennes ne sont toujours pas autorisées à conduire.

Les médias du printemps : une fabrique d’archétypes et d’icônes

Les médias, qu’ils soient locaux, étrangers ou partisans, ont participé au positif comme au négatif. Du côté du positif, ils ont contribué à mettre en lumière le rôle des femmes et leur participation aux manifestations. Ils ont suivi leurs diverses activités dans tous leurs détails, surtout les plus remarquables d’entre elles, même s’ils se sont surtout concentrés sur les places des villes principales. Quant au négatif : certaines chaînes obéissaient à des idées préconçues quant à la nécessité de fabriquer un leader, un archétype unique, charismatique et mythique. Les femmes ont donc été présentées sous un aspect uniforme : le visage drapé de noir, masqué, couvert, pour être finalement désignées par le terme : « la vague noire », ou  « la révolution noire ».


Le monde n’était pas préparé à assister à un mouvement rassemblant une foule de femmes révolutionnaires, cette fameuse « vague noire ». Elles étaient issues de tous les métiers : institutrices, avocates, juristes, médecins etc. Il y avait aussi les femmes au foyer, et toutes celles qui étaient sorties pour demander la protections des tribus contre le régime d’Ali Abdallah Saleh.


L’ancien régime n’est pas le seul à avoir bafoué les droits des femmes et à les avoir transformées en numéro gagnant à la bourse des affaires locales, régionales et internationales. Les partis « révolutionnaires » ayant rejoint les places ont, eux aussi, contribué à la même politique en fabriquant des leaderships qu’ils ont élevés au rang « d’icônes révolutionnaires ». A travers ces icônes furent sculptés des slogans et des conceptions comme celle de sacralité de la révolution, considérée comme droit divin, ou celle de héros qui guide jusqu’à la victoire.


Nous sommes donc apparues au monde comme des créatures caricaturales, fort peu authentiques, et pourtant fascinantes. Le journal al-Hayat a par exemple écrit : « les événements au Yémen rejouent de façon très intéressantes l’époque du printemps des révolutions dans le monde arabe ». De même, dans son article « Ce Yémen qui nous a sidéré », l’écrivaine Nahla al-Chahal déclare : « Tawakkul Karmân est apparue sur le devant de la scène, et avec elle des femmes portant le Niqâb, dont les déclarations traduisaient un niveau de conscience pour le moins enviable ».


Ce cliché des femmes de la révolution yéménite : Tawakkul Karmân, symbole unique, et derrière elle les femmes au Niqâb, « la vague noire », reste jusqu’à maintenant l’image de la femme au Yémen. C’est aussi le visage de l’Islam politique dans ce pays, qui a fait du « sharshaf »  non seulement un vêtement traditionnel, mais aussi une identité religieuse, afin de montrer au monde que la révolution était le fait du parti Islâh et de ceux qu’on appela « les protecteurs de la révolution », que les martyrs étaient les leurs. C’est ce qu’a écrit Tawakkul Karmân sur sa page Facebook, déclenchant un ouragan de protestations venues de toutes les tendances de la révolution.


La fabrique des icônes n’est pas que le fait des arabes. C’est également une insolite industrie occidentale qui a contribué à les promouvoir, à en faire des pièces de musée, à réduire la révolution et la vie réelle, dans toute leur diversité et leurs détails, à un seul exemplaire : semblable en tout point à la  Barbie américaine. La « Barbie de la révolution » ne diffère de l’autre qu’en ce qu’elle revêt un Hijâb, car elle reflète une situation révolutionnaire islamiste. Comme « Fulla», la Barbie du golfe, « Sarah », la Barbie iranienne, ou « Rezan », fabriquée par une entreprise américaine du Michigan et vendue aux musulmans des Etats-Unis et de Grande Bretagne , elle s’est convertie à l’islam. C’est ainsi qu’on a fabriqué la Barbie du printemps arabe, et tout particulièrement celle du printemps yéménite.


Les médias ayant passé contrat avec la « révolution » ont contribué eux aussi à cette industrie. En première place : la chaîne Souheïl du parti Islâh pour le Yémen, et Al-Jazira pour le monde arabe. Par leur biais on a répandu l’illusion, et servi la propagande de la révolution. Car le peuple doit croire à ce que dit et fait Barbie. Chacune de ses paroles est une vérité indiscutable : « le printemps va dans la bonne direction, la révolution a réalisé ses objectifs, la révolution est victorieuse  » etc. Avec ce reliquaire révolutionnaire islamiste, nous voici soudain face à un fascisme vert qui fauche le printemps, les saisons, la géographie entière. Et à la place, il sème les grains dont on récoltera fatwas, cheikhs, tribus prêtes à l’attaque, généraux en galons.

Défis


Les défis que les femmes yéménites doivent relever sont ceux de la société dans son ensemble : affronter la structure prégnante des forces réactionnaires dominantes incarnées dans l’institution tribale, religieuse et militaire. Cette dernière contrôle la révolution, le pouvoir, les points clé du travail et de l’enseignement, la justice, les institutions politiques et économiques dans leur ensemble. Ceci représente un défi énorme, mais il est possible de l’affronter. Si le mouvement féministe s’unifie, qu’il se coordonne avec les forces de la société civile que sont les intellectuels, les libéraux et autres, ils contribueront à défaire ces institutions qui empêchent le développement de la société.
Ces défis sont l’analphabétisme, qui dépasse 65% des habitants, la pauvreté, le chômage, le mariage précoce, l’état désastreux de la santé. Il y a aussi la hausse du niveau de fertilité, l’augmentation des situations de violence familiale et sociétale, un enseignement qui engendre fanatisme et terrorisme, des fatwas de plus en plus tyranniques à l’égard des femmes.


Certains défis se sont faits plus urgents avec les événements de 2011. Qu’on  considère ce qui s’est passé au Yémen comme une  révolution ou comme une crise, on ne peut que tomber d’accord sur les points suivants :Instaurer un quota de 30% de femmes dans toutes les institutions, tous les domaines de la vie courante et du pouvoir, jusqu’à arriver à la parité, comme c’est le cas en Tunisie. Travailler sans relâche à ce que les femmes participent à la rédaction de la constitution. C’est le plus grand défi, et le plus angoissant.


Réformer la loi du statut personnel, ressuscitée au nom de la « Chari‘a », et rétablir la loi sur la « citoyenneté égale » et « la justice sociale » telle qu’elle est stipulée dans les traités internationaux auxquels le Yémen a donné son accord.
Mettre un terme à la violence systématique contre les femmes pratiquée au nom des notions d’illicite et de honteux, au nom de la religion, de l’héritage culturel, des particularités, des coutumes et des traditions.
Parvenir à ce que les femmes ne soient plus catégorisées sur des bases identitaires, particulièrement l’identité religieuse, selon leurs vêtements ou leurs diverses activités.


Renouveler le discours féministe et faire entrer des éléments jeunes dans l’administration de ses institutions. Remédier à l’éclatement de ces mouvements en les rassemblant en une seule alliance. Prendre contact avec les autres mouvements féministes dans le monde, et bénéficier de leurs expériences.
Enfin, reconquérir nos visages emprisonnés sous les verrous des fatwas, et pouvoir les voir au naturel, baignés dans la lumière du soleil.