La logistique, le monde du travail et les nouveaux régimes de la production du savoir

Transeuropéennes, thème de la discussion : Les flux du savoir dans la mondialisation et la transformation des schémas cognitifs : une révolution épistémologique ?

Ned ROSSITER

Traducteur : RENAULT Didier


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Avec l’émergence du règne universel de l’ordinateur et de l’informatisation du travail et de la vie, il est clair que l’on peut définir la situation actuelle comme celle de l’ère des réseaux. Quel que soit son milieu social, sa situation géoculturelle ou le mode de production auquel il participe, l’individu contemporain est connecté en permanence aux circuits du capital. Rien ne le montre avec plus d’évidence que la situation banale des utilisateurs connectés à internet par le biais de leurs téléphones mobiles ou de leurs ordinateurs portables. Cliquant sans interruption, passant d’un site à l’autre, l’esprit distrait de l’utilisateur multiplie les richesses des fournisseurs monopolistes de vaine curiosité. Google, Facebook, Bebo, MySpace, Tudou, YouTube, Twitter. Ces véhicules donnant accès à « l’économie de l’expérience » des réseaux sociaux peuvent naturellement être diagnostiqués en tant qu’économie politique de l’extraction de données (data-mining) et de l’agrégation des goûts (aggregation of taste). Mais lorsque les utilisateurs participent à la production sociale de la valeur tandis que les grands réseaux d’entreprises inventent de nouveaux modèles commerciaux pour dégager des profits du travail de la population générale, on peut se demander quelles en sont les implications pour la production du savoir1. Quels effets ce règne des réseaux a-t-il sur les dispositifs institutionnels liés à la production du savoir ? Et quelle sorte de relations socio-techniques émergent-elles pour comprendre les nouveaux diagrammes de la politique ? Cet article examine ces questions en relation avec les industries logistiques globales qui dirigent le mouvement des hommes, des choses et de l’argent.

Les problèmes complexes (violations des droits de l’homme, changements climatiques, contrôle des mouvements migratoires, gestion des ressources humaines, informatisation du savoir) ont la capacité de produire des relations trans-institutionnelles évoluant à travers des espaces géoculturels, dont résultent fréquemment des conflits portant sur le statut du savoir et la légitimité de l’expression. L’une des raisons centrales de ces conflits est liée à la dynamique spatio-temporelle spécifique des sites – institutionnels ou non – de la production du savoir. En fonction de l’échelle géoculturelle de sa distribution et de la temporalité de sa production, le savoir sera codé selon des protocoles socio-techniques particuliers, ce qui donne lieu au problème de la traduction dans le milieu général du savoir. Il ne s’agit pas ici d’une impasse sous la forme des frontières entre les disciplines, mais d’un conflit portant sur des protocoles. Pour le théoricien des médias Alexander Galloway, « On désigne par protocoles la technologie de l’organisation et du contrôle telle qu’elle est appliquée dans les réseaux distribués2. » Nous appellerons logistique ces systèmes dominants d’organisation et de contrôle.

La logistique connaît bien ses sujets. Ses programmes informatiques spécifiques visualisent et gèrent la mobilité des hommes, du capital et des choses, produisant un savoir sur le monde en transit. La logistique est une extension du « paradigme organisationnel » de la cybernétique. Tous deux font partie de l’ensemble flux/machine (Foucault) de l’économie néo-libérale tel qu’elle est apparue à la suite de la Deuxième Guerre mondiale. L’économie néolibérale, la cybernétique et la logistique ont en commun le calcul du risque. Et la gestion du domaine du risque exige un système capable d’analyse et de gouvernance réflexive. C’est là la tâche de la logistique. Aujourd’hui, le défi consiste à inventer des techniques et des stratégies qui opèrent hors du territoire contrôlé par les technologies logistiques et les algorithmes de leurs programmes, qui modèlent l’organisation des pratiques de production du savoir.

Cet article se propose d’explorer, à titre d’introduction, le complexe de problèmes énoncés ci-dessus en référence avec l’industrie globale de la logistique – un régime émergent de protocoles de contrôle qui régissent déjà les conditions de travail et de vie de nombreux hommes, et affecte de manière croissante la manière dont la production du savoir est  (et sera) dirigée et initiée. Dans l’intérêt de la clarté, une distinction entre les deux formules-clé choisies pour donner son cadre à la réunion parisienne – la production du savoir et la transformation épistémologique – est nécessaire. La dernière est neutralisée pour des raisons liées à la crise de l’Université dans une « économie du savoir », mais la première prolifère au fur et à mesure que de nouveaux assemblages sont produits par la force galvanisante du capitalisme global. Ce fait n’est nulle part plus évident que dans la lutte et les relations mutuellement constitutives entre les secteurs formels et informels d’un éventail d’activités sociales et économiques liées aux industries logistiques globales et à la gestion de la chaîne logistique. On en trouvera un exemple dans le traitement industriel des déchets électroniques en Chine, que nous discutons brièvement plus loin. Même si certains peuvent être réticents face à l’idée que des économies informelles et les pratiques du travail qui les accompagnent puissent être considérées comme des sites de production du savoir, leur exemple met néanmoins en relief les manières dont un type de conscience  – qu’il prenne la forme d’une adaptation des systèmes de software ou de hardware, ou celle de grèves des travailleurs et du sabotage infrastructurel –  de la situation des opérations logistiques conserve une puissance formatrice qui modifie la manière dont la logistique connaît ses sujets.

 

Logistique, Standards et Protocoles.

La tâche principale de l’industrie logistique globale est de gérer le déplacement des hommes et des choses en fonction des intérêts de l’efficacité des transports, de la communication et de l’économie. L’une des méthodes privilégiées de la logistique pour accomplir cette tâche est l’application des technologies de la mesure, la base de données et le tableur étant deux des instruments les plus courants de la pratique managériale. Dans le cas du travail cognitif, l’architecture d’économie politique des régimes de la propriété intellectuelle s’est imposée comme un instrument de régulation définitif et a servi de standard à partir duquel comprendre la productivité du travail intellectuel. C’est particulièrement vrai des sciences et des « industries créatives » qui ont remplacé, au Royaume-Uni et en Australie, les départements d’art et de sciences humaines dans de nombreuses universités.

Il existe néanmoins un certain nombre de technologies émergentes qui portent à la fois sur la gestion des ressources humaines et la production « économe » (economic generation) qui s’écartent très nettement du pouvoir, qui se dissipe à vue d’œil, des régimes de la propriété intellectuelle, fondés sur des systèmes étatiques chargés de faire respecter les accords ADPIC de l’OMC3, ce qui est loin de fonctionner au mieux dans des lieux tels que la Chine avec sa glorieuse industrie du piratage ou de nombreux pays d’Afrique où les médicaments génériques rognent les profits de l’industrie pharmaceutique et son économie fondée sur les brevets4. Les régimes de la propriété intellectuelle ne sont plus le site de la véritable lutte pour le travail informationel, bien qu’ils continuent à jouer un rôle de premier plan dans la recherche et la publication universitaire, quand ils sont reliés à des systèmes de mesure tels que les classements globaux des universités et de leur presse, les audits de « garantie de qualité » des « performances pédagogiques », le nombre d’étudiants internationaux, etc. À l’ère du capitalisme cognitif, de nouveaux sites de lutte apparaissent, regroupés autour de standards et de protocoles liés à la mobilité de l’information et à la gestion de la population dans les industries logistiques. L’élément crucial, de ce point de vue, est la réintroduction de la matérialité dans la vie computationnelle et informatisée.

Les standards sont omniprésents. Leur capacité à s’interpénétrer et à s’adapter au changement à travers le temps et les circonstances est la clé de leur pouvoir d’agents non étatiques de la gouvernance, dans la culture, la société et l’économie5. Pour être mis en œuvre selon une règle protocolaire, les standards requièrent  la combinaison d’un consensus et d’une interconnexion (ou hégémonie) institutionnelle. On peut alors parler de standards environnementaux, de standards sanitaires, de standards de sécurité, de standards computationnels et de standards de fabrication, dont le statut inter-institutionnel ou technique est rendu possible par le biais des protocoles6. La capacité des standards de rester une force motrice dépend de leur contrôle protocolaire, un système de gouvernance dont la technique d’organisation modèle la manière dont la valeur est extraite et séparée des individus impliqués dans des modes variationnels de production.

En termes de technologies biopolitiques, il resterait d’importantes études à mener afin d’analyser le rôle que jouent, dans le contexte de la logistique, les logiciels dans la direction des activités des travailleurs. On peut apercevoir des manifestations du  calcul du risque, dont Foucault voit l’origine dans le néo-libéralisme américain de l’après-guerre, dans les systèmes sociotechniques de la logistique contemporaine7. De ce point de vue, l’une des préoccupations majeures est la sécurisation des chaînes logistiques globales, comme l’illustrent les efforts de laboratoires d’idées tels que la RAND Corporation pour proposer des orientations stratégiques. Le type de processus technologiques et de protocoles que propose la RAND considère les chaînes logistiques globales et la sécurité des ports comme les systèmes et les espaces les plus exposés à des risques d’attaques8. Il n’y a cependant pas un fossé infranchissable entre ce genre d’objectifs infrastructurels et systémiques de la sécurisation, et le contrôle biopolitique de la main-d’oeuvre. La discussion sur les systèmes logiciels de référence qui sont actuellement utilisés dans l’industrie et la logistique maritime pour contrôler et réguler l’efficience des chaînes logistiques montre bien que la main-d’oeuvre relève elle aussi du champ de l’évaluation des risques et de la sécurisation.

La question qui préside à  cette rencontre de Transeuropéennes pourrait être en rapport avec la mesure dans laquelle la production du savoir est subsumée au discours sur le risque et sa sécurisation. Si les systèmes logiciels de la logistique devaient entièrement migrer et être intégrés à l’Université, à quel point, ou à propos de quels problèmes la recherche pourrait-elle être classée comme une activité de management du risque ? Il  est  certain que l’examen de la logistique pourrait éclairer ce type de situations émergentes, mais je me propose néanmoins ici de la considérer sous l’angle de la méthode et de la formation spatiale des relations sociales telles qu’on les rencontre dans des secteurs informels du travail.

Déchets et méthode logistique.

L’été dernier, notre recherche a commencé à Shangaï, pour un projet intitulé : Travailleurs en Transit : Circuits, Régions, Frontières9. Des visites de terrain collectives sur deux sites en apparence disparates – un site industriel de production TIC10 en périphérie de Shangaï et le marché Baoshan où se négocient des déchets électroniques, des appareils d’occasion et des contrefaçons de gadgets – nous ont fourni des indications sur la manière dont les régions comme la mobilisation sociale sont configurées en tant que singularités au sein d’une plus vaste constellation de relations. Dans le prolongement de vagues précédentes de production industrielle dans l’Est de l’Asie, où les mentions « fabriqué au Japon » et « fabriqué à Taiwan » devinrent synonymes d’une gamme de produits électroniques et des mythologies afférentes de dystopies techno-culturelles,  au cours des deux dernières décennies,  c’est désormais la Chine qui s’est taillée la réputation d’être l’épicentre de la planète en matière de production de matériels électroniques. Au moment de l’achat, l’une des principales séductions d’un appareil électronique est l’impression de propreté immaculée qui émane de lui. Ses surfaces admirablement lisses gainées de plastiques au poli irréprochable ou d’alliages métalliques raffinés sont l’écrin noir et mystérieux qui sied à leurs circuits internes et aux valeurs qu’ils génèrent, trompeuses sur les conditions toxiques de leur production et leurs effets sur la santé des travailleurs et sur l’environnement. Tel est le prodigieux pouvoir de la forme-marchandise de s’abstraire de l’expérience du travail et de la vie.

Mais les traces du travail, comme l’a judicieusement noté Marx, ne  disparaissent jamais totalement de la forme-marchandise. La relation entre le travail et la production d’appareils électroniques devient naturellement  tout autrement tangible au site industriel TIC que cela ne serait jamais le cas dans un magasin de prestige consacré à la vente des marques planétaires. Toutefois, même à l’usine, le corps est séparé de la forme-marchandise, comme résultat de la division du travail et de la place centrale qu’occupent  les machines dans le processus de production. Ce que nous voyons, c’est bien le corps in toto, mais un corps qui est à la fois machinique (un dispositif technique davantage qu’un assemblage social de l’intellect général) dans le même temps qu’il se refuse à une subjugation totalisante de la machine par l’affirmation de ses qualités humaines spécifiques. Nous entendons les langues dialectales, nous remarquons les peaux qui signalent les ethnicités. C’est là la plus élémentaire des rencontres anthropologiques. En l’absence d’un quelconque dispositif herméneutique, nous sommes livrés au royaume des sens – un type de réactions aujourd’hui discréditées dans l’Université, avec la susceptibilité de ses disciplines à la politique de l’Autre (dont on pourrait soutenir qu’elle est en fait surtout préoccupée d’une politique narcissique de l’identité et du soi). Nous recherchons un modèle cognitif, si provisoire et partial qu’il soit, qui nous permette de rendre compte de ces sensations mobiles sous une forme statique dans la grille de la raison. C’est tout le problème de la méthode.

Tandis que le circuit imprimé produit par l’usine TIC – « la plateforme basique pour l’interconnexion de composants électroniques » fait partie d’une formation régionale à une échelle transnationale, des sites tels que le marché de l’électronique Baoshan, dans l’agglomération de Shangaï, combinent des formations régionales intra-nationales, pour ce qui concerne la vente domestique de marchandises d’occasion et de déchets électroniques, avec un trafic global du recyclage de ces déchets11. En étudiant les mouvements des déchets électroniques, nous découvrons que les composants électroniques – dont une grande partie ont été produits en Chine – se raccordent de manières différentes à des réglementations nationales et internationales. Comme on le sait, le gouvernement chinois a interdit l’importation de déchets électroniques en 199612. Mais l’économie informelle des déchets électroniques est néanmoins répandue et florissante dans de petites entreprises situées dans des villes tout au long de la côte Est. Certaines de ces entreprises, situées dans des endroits tel que le marché Baoshan associent le réassemblage de composants informatiques d’occasion et une activité complémentaire de recyclage de déchets électroniques achetés sur des circuits commerciaux nationaux et internationaux. Dans les deux cas, les objets électroniques qui appartiennent à la même famille de composants occupent un statut très différent à l’échelle spatiale, en fonction de leurs circuits de distribution.

En passant du site de production  à celui du commerce des détritus de la consommation, nous pouvons percevoir la multiplication des régions. Les circuits imprimés fabriqués à l’usine TIC participent d’une vie sociale d’objets déplacés à travers l’espace régional de l’Asie au cours du processus d’assemblage. La composition de la main d’œuvre à bas salaires est aussi une formation régionale, mais dans le cas de l’usine TIC, cette main d’œuvre est attirée de provinces situées à l’écart des zones économiques spéciales qui s’étendent le long de la côte Est. En Chine, dans la production industrielle, la construction et les services, on peut constater une tendance de la main-d’œuvre à se regrouper selon des filiations provinciales. À ShangaÏ, par exemple le réseau des éboueurs du district de Xu Hui, l’ancienne concession française, est constitué de migrants de la province d’Anhui et leur auto-organisation du travail est fondée sur des connexions provinciales.

Pour prendre un autre exemple, de nombreux travailleurs des marchés de déchets électroniques et d’appareils électroniques d’occasion de Ningbo, une ville au sud de Shangaï, sont des migrants de la province de Jiangxi. Et dans le cas de Nanhai – « l’une des meilleures villes digitales de Guandong » (et l’un des plus grands centres pour les déchets électroniques et les appareils électroniques d’occasion) – la main d’œuvre est originaire de la province de Hubei. Il vaut la peine de noter que Nanhai a également une importante industrie navale, et il n’est peut-être pas surprenant que la province de Guangdong ait des contrôles frontaliers moins regardants quand il s’agit de l’importation de déchets électroniques illégaux provenant de marchés d’outre-mer comme le Japon, l’Europe, les États-Unis et l’Australie. A Ningbo, où les contrôles frontaliers du port sont plus stricts, les entreprises trouvent des routes alternatives pour le transport des déchets électroniques illégaux – des villes telles que Nanhai sont les sources essentielles du transit des déchets dans les limites du territoire souverain de la nation ; à leur tour, les produits invendus sur les marchés d’occasion de Ningbo sont considérés comme déchets et revendus à des marchands et marchandes de bric-à-brac (junk men and women) de Guangdong et Taizhou13.

Lors d’une visite du site du marché électronique Baoshan, à Shangaï, en juin de l’année dernière, l’une des chercheuses de notre équipe, Anja Kanngieser,  a découvert que la main-d’œuvre provenait d’une grande diversité de villes et de provinces : Suzhou, Nanjing, Henan, Jiangxi et Anhui. Mais sur un autre marché électronique peu éloigné, situé rue Fuxing Lu, les travailleurs  provenaient majoritairement de la province de Guangdong, le centre de la production électronique et du traitement industriel des déchets. Tandis que le commerce de déchets électroniques semble avoir lieu à Baoshan, avec son cosmopolitisme régional, ce n’était pas le cas du marché de Fuxing Lu. Toutefois, il est souvent difficile, à première vue, de repérer les déchets électroniques, qui sont une sorte d’objet ou de catégorie mouvante dans le sens que les produits d’occasion invendus, souvent réassemblés en objets hybrides pour être revendus,  redeviennent des  « déchets » lorsqu’ils ne peuvent être vendus en tant que produits, et sont alors revendus comme tels  à des marchands et marchandes de bric-à-brac. En d’autres termes, le bric-à-brac n’est pas toujours de la camelote (junk is not junk), ou des bric-à-brac d’aspects identiques peuvent être de nature très différente,  en une sorte d’illustration du signifiant vide. Déchets et main-d’œuvre appartiennent donc tous deux à des formes de mobilité sociale que l’on peut comprendre en tant que formations régionales particulières aux frontières extrêmement élastiques.

Au cours de notre recherche d’une méthode analytique nous permettant de déchiffrer la logique de ces diverses mobilités, nous avons été frappés par le rôle que joue la logistique dans l’organisation des déplacements, comme nous l’avons noté ci-dessus, des hommes, de l’argent et des choses dans l’intérêt de l’efficacité de la communication, des transports et de l’économie. Sur le problème de la méthode, Sandro Mezzadra et Brett Neilson notent : « La méthode, telle que nous la comprenons, émerge précisément des circonstances matérielles que nous rencontrons […] en tant que méthode, la frontière n’implique donc pas seulement un point de vue épistémique à partir duquel nous pourrions reformuler tout un ensemble de concepts stratégiques et leurs relations. Elle exige aussi un processus de recherche qui rende compte en permanence des diverses luttes et négociations, où les questions raciales ne jouent certainement pas un rôle mineur, qui constituent la frontière à la fois comme institution et comme ensemble de relations sociales14. » La question se pose alors de savoir ce que nous offre la logistique en tant que méthode, du point de vue de l’analyse de la main-d’œuvre mobile (la mobilité de la main-d’œuvre en transition) et la production du savoir ? Comme nous le notons dans notre liste de concepts pour ce projet : « Les méthodes logistiques d’organisation sont appliquées à la production et aux schémas de la mobilité contemporaine. » L’organisation, à son tour, devient une question et une pratique de l’arrangement des corps et des cerveaux mobilisés en tant que main-d’œuvre.

 

L’université logistique ?

 

Depuis environ une décennie, la prolifération d’institutions extra-universitaires telles que les ONG, les laboratoires d’idées (think tanks), les organisations militantes et culturelles et  les médias impliqués dans la production du savoir sont moins le signe d’une « révolution épistémologique » que celui d’un défi à l’Université et à son monopole du savoir. Cette transformation est encore amplifiée par la tendance croissante des universités anglophones à confier tout un ensemble de tâches à des collaborateurs intérimaires, qu’elles relèvent de  l’administration,  de l’enseignement ou de certains aspects ponctuels de la recherche. Associée à l’industrialisation et à la commercialisation du savoir15, l’émergence de l’Université comme dispositif d’enseignement gérant la pratique de la recherche comme une chasse gardée de titulaires de chaires organisant les projets incite la recherche critique à migrer au-delà du territoire universitaire16. On est tenté de penser que les conditions sont réunies pour une importante transformation épistémologique, fondée sur les cultures institutionnelles et technologiques – une transformation qui pourrait être de l’ordre du changement de paradigme de Kuhn  ou de la rupture épistémique de Foucault.  Comte tenu de la relation constitutive contemporaine entre épistémologie et disciplinarité, il est improbable que ce changement s’amorce dans le cadre des frontières de l’Université. De nos jours, les conditions du changement épistémologique ne sont plus exclusivement liées aux contours des disciplines telles qu’ils sont tracés au sein de l’Université. Tandis que l’on pourrait considérer que tout au moins les sciences humaines, dans le cadre universitaire, tendent  à s’abstenir de mettre en cause les méthodes et les pratiques de la production conceptuelle, en raison de leurs penchants conservateurs, ce serait faire preuve d’aveuglement que d’affirmer que la découverte de méthodes inventives et la production « sauvage » de concepts seraient au point mort dans le reste de la société17.

La question critique, pour les chercheurs établis dans l’Université, est de savoir comment  ajuster leurs propres pratiques cognitives, face à la production du savoir telle qu’elle est pratiquée hors du contexte universitaire. On se tromperait néanmoins si l’on ignorait les divisions tranchées et les conflits institutionnels qui distinguent les formes de production du savoir extra-universitaire. Les objectifs poursuivis par les cabinets de conseil  et les laboratoires d’idées qui fournissent sur commande à leurs clients (étatiques ou non) des rapports d’orientation stratégique  (policy reports) sont profondément différents des actions menées par des organisations militantes impliquées, par exemple, dans la critique de politiques culturelles ou environnementales. Leurs formes d’expression peuvent parfois présenter certaines similarités, mais le public socio-politique auquel elles sont destinées, les techniques d’organisation, l’esthétique de leur présentation et les alliances fondatrices tendront bien plus probablement à rompre toute correspondance possible entre eux.

La transformation des pratiques cognitives est une question à la fois méthodologique et politique, et pour la grande majorité des universitaires, la question ne se posera tout simplement jamais. Lorsque le regard bovin de la persona universitaire est fixé sur sa hiérarchie et assujetti aux directives managériales et gouvernementales qui expriment le dernier état de la calibration du régime des audits, il n’y a ni le désir, ni la motivation structurelle  de s’impliquer dans une réflexion critique de la pratique, en dépit de l’intérêt de pure forme affiché pour cette idée. En tant que telles, la problématique de la complexité et la pratique de la transdiciplinarité sont marginalisées, si ce n’est totalement ignorées, par les représentants du monde universitaire.

Si le temps institutionnel de l’université n’est pas encore, à l’heure actuelle, règlé sur le contrôle en temps réel de la performance de la main-d’œuvre18, de la production des marchandises et de l’efficience du déplacement des gens et des choses propres au monde logistique des industries du transport et de la communication, la grammaire managériale de la logistique n’en est pas moins en passe de gagner l’Université. En témoigne par exemple la place des KPI (Key Performance Indicators, Indicateurs clés de performance) en tant qu’outils managériaux destinés à déterminer les charges de travail annuelles et les protocoles d’avancement des carrières universitaires qui en dépendent. De ce point de vue, on notera que le contenu des travaux n’est absolument pas pris en compte et qu’il s’agit uniquement de l’enregistrement d’un travail cognitif sous forme de résultats quantitatifs. Même si la période prise en compte pour le contrôle porte en général sur des intervalles qui s’étendent sur une année universitaire, et qu’il n’a donc pas l’intensité de l’évaluation en temps réel et de la prise de décision telles qu’on les trouve dans de nombreuses industries logistiques, il est néanmoins évident que la production du savoir, dans le cadre de l’Université, est devenue quantifiable et contrôlable grâce au recours à des outils logistiques. Au fur et à mesure que le temps universitaire s’accélère et continue d’intégrer des technologies de gouvernance logistiques, les modalités et techniques de la production du savoir sont également vouées à subir des transformations. Dans le même temps, le terrain institutionnel et technologique de la production du savoir continuera de se diversifier.

L’organisation de nouvelles formes institutionnelles.

L’expansion des fomes institutionnelles s’accompagne d’une redistribution de l’expertise, que l’un des groupes d’experts reconnaisse ou attribue une légitimité aux expressions des autres groupes ou non. Avec l’émergence de la société des réseaux s’affirme une forte tendance culturelle et technique à la ghettoïsation,  que marque nettement le passage à l’informatique dématérialisée (cloud computing) et à l’Internet national (‘national web’). Outre des problèmes infrastructurels, le cloud computing présente des problèmes d’économie politique et de disjonctions protocolaires. Dans le cas des réseaux nationaux, l’accès à l’information en ligne est limité selon des frontières nationales définies en termes de plages d’adresses IP, de domaines, d’inscription et d’hébergement19. L’apparition du cloud computing et de l’extraction de données (data mining)  exclut désormais l’évaluation du travail cognitif en fonction du contenu qu’il produit. Nous sommes au contraire confrontés à un techno-système émergent dans lequel le simple fait de cliquer et d’emmagasiner des données sur des batteries de serveurs – dont les protocoles sont conçus pour faire obstacle au transfert d’un « nuage » à l’autre – confie la sécurité des données à des entreprises et  à des gouvernements peu soucieux de l’utilisateur, tant du point de vue de la confidentialité que de ses désirs de se mouvoir parmi les infrastructures techniques.

Tous ces faits ont des implications multiples pour la production du savoir : puisque le volume de données est l’unité basique de la profitabilité économique (coût du stockage de données lié à l’économie de l’extraction de données), le savoir produit par le travail informatisé devient secondaire. En bref, chacun a désormais la capacité d’être produit en tant que travail cognitif, puisque la mesure de la valeur économique passe d’une logique de la rareté (les droits de la propriété intellectuelle) à une logique de l’agrégation, de la recombinaison et du stockage correspondant à la matérialité de l’information digitale et à la production sociale de la valeur20. Dans un tel paradigme, ce ne sont pas seulement les questions de confidentialité, de sécurité, de possibilités de transfert des données, d’accumulation du capital et de surveillance qui deviennent importantes, mais également des problèmes de régions et de frontières, puisque certains fournisseurs de clouds comme Google divisent le monde selon les exigences des États (comme dans le cas de la Chine), une personnalisation locale et régionale des logiciels et une politique de prix fondée sur les intérêts du marché.

De nombreux commentateurs ont observé que les frontières entre le travail, la vie et la politique sont devenues plus poreuses, si elles n’ont pas totalement disparu. Et si cette remarque peut être justifiée pour un nombre quelconque de cas empiriques et conceptuels, des frontières nouvelles ne cessent de voir le jour. Les frontières se multiplient également si nous les considérons comme un espace et un temps d’une intensité singulière, dont les forces recèlent des conflits potentiels. Dans ces conditions, comment penser les effets de l’organisation et des réseaux lorque les champs de forces que recèle la frontière s’exercent de manière à la fois perceptible et imperceptible pour différents agents situés dans un complexe de relations ? Peut-être est-ce là aussi un problème de gouvernance. Il y a toujours l’option de ne rien faire, ce qui est toujours quelque chose (et non pas rien), mais l’abdication, ou une ligne de conduite floue modèlent l’organisation et l’activité de la vie et des choses. Affronter les problèmes de tensions et d’affinités dans un contexte où le travail n’est pas une force cohésive centrale exige une démarche réflexive, ou peut-être seulement une conscience et une sensibilité à l’égard de la situation à laquelle on fait face. Pour des phénomènes de cet ordre, il n’existe pas de protocole ou de méthode standard auquels on pourrait avoir recours. Ici s’impose un processus d’invention. Et l’invention surgit de la scène de la frontière, qui indique « l’élément non-démocratique de la démocratie » tel que l’a conceptualisé Étienne Balibar21. Ici, l’approche du  problème de l’organisation est non-représentationnelle et fortement déterminée par le conflit, l’échec, la contingence, les passions et les affects. Il ne peut exister que des méthodes situées, trans-locales pour faire face à de telles conditions. Et nous voyons ici un autre point de conflit avec la vision souvent globale ou abstraite de la logistique.

Comment procéder à une analyse des réseaux par lesquels et dans lesquels a lieu la production collective du savoir ? Peut-être faudrait-il commencer par un diagramme des relations. Il est certain que le concept et la politique du travail doivent être étendus au-delà d’une joie narcissique de la reconnaissance de soi. C’est là le danger de l’affirmation, à moins que nous ne considérions cette dernière comme une prise en compte de la différence, du conflit et de la dimension constitutive de l’extériorité. Si l’on pense au diagramme de la force de travail dans les industries de technologie de l’information  de Kolkata  – sans l’acte de violence de l’accumulation primitive de l’État-entreprise, par lequel les paysans sont expropriés de leur terre par le biais de mécanisme légaux de l’État, en faveur du développement du secteur immobilier, il n’y aurait pas d’industrie TIC, et donc pas de force de travail cognitif à laquelle s’adresser en tant que clientèle politique potentielle22. En d’autres termes, le diagramme de l’en-dehors de la force de travail de l’industrie TIC est précisément la scène du politique. Par la dépossession des terres cultivables, le paysan est effectivement programmé en tant que main-d’oeuvre locale dans la sécurité, la construction et les services. Sans cette relation, la prétendue qualification professionnelle  de la main-d’œuvre des industries TIC n’existerait pas. Développer un mode d’organisation et d’analyse informées par ces variabilités est ici le défi majeur.

Les réseaux et leurs relations transversales avec toute une gamme de dispositifs institutionnels  suggèrent une source possible pour maintenir le désir et la production du savoir, qui peut prendre la forme du refus, de la polémique, du sabotage, etc. Avec ses indices que les modes de délocalisation de la production du savoir s’intensifient sous des formes qui ne réduisent pas le pouvoir de l’État, la résonance qui apparaît ici avec la « Grande Société » en inquiètera sans doute quelques-uns, mais contribue peut-être à clarifier le passage de l’État social à l’État néolibéral, et même international. S’il en résulte l’émergence de forces externes qui donnent naissance à de nouvelles formes institutionnelles et à des modes alternatifs de production du savoir, ce n’est alors pas une mauvaise chose.

 

1Voir sur ces thèmes, respectivement, Tiziana Terranova, ‘Another Life: the Nature of Political Economy in Foucault’s Genealogy of Biopolitics’, Theory, Culture & Society 26.6 (2009), p.  234-262 et Matteo Pasquinelli, ‘Google’s PageRank Algorithm: A Diagram of the Cognitive Capitalism and the Rentier of the Common Intellect’, in Konrad Becker et Felix Stalder (eds), Deep Search, Londres,  Transaction Publishers, 2009. Le texte est disponible à  http://matteopasquinelli.com/docs/Pasquinelli_PageRank.pdf
2Alexander Galloway, ‘Protocol’, Theory, Culture & Society 23.2-3 (2006): 317. Cf. également Alexander R. Galloway, Protocol: How Control Exists after Decentralization, Cambridge, Mass.,  MIT Press, 2004.
3Autrement dit les « Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce » de l’Organisation Mondiale du Commerce. (NDT)
4Cf. le fascinant travail de Melinda Cooper, qui a étudié l’économie et la géopolitique des essais cliniques au travail,   dans le contexte de l’industrie pharmaceutique, et dont l’émergence peut être considérée en partie comme une manière de compenser les pertes de profits dus à la diminution des droits provenant des IPR (régimes de la propriété intellectuelle) en raison de la disponibilité croissante de médicaments génériques ; ce dernier phénomène peut à son tour être considéré comme une sorte d’économie pirate, qui se recoupe même avec des aspects de la culture de l’open source (logiciels libres de droits).  Melinda Cooper,  ‘Experimental Labour-Offshoring Clinical Trials to China’, EASTS East Asian Science, Technology and Society: An International Journal 2.1 (March 2008): 73-92.
5Cf. Martha Lampland et Susan Leigh Star (eds), Standards and their Stories. How Quantifying, Classifying and Formalizing Practices Shape Everyday Life, Ithaca, Cornell University Press, 2009.
6Mais il peut aussi y avoir des standards pour les protocoles. Le modèle  TCP/IP des communications Internet, par exemple, est un protocole des communications sur Internet qui s’est établi comme standard. Christopher Kelty fait la remarque suivante à propos de la relation entre protocoles, applications et standards dans les processus computationnels : «  Il y a une importante distinction entre un protocole, une application (implementation) et un standard :  les protocoles sont des descriptions précises des termes qui permettent à deux ordinateurs de communiquer entre eux (i.e., un dictionnaire et un manuel de communication). L’application  est la création d’un logiciel qui utilise un protocole  (i.e., qui établit effectivement la communication, de sorte que deux applications utilisant le même protocole doivent pouvoir partager des données.). Un standard définit quels protocoles doivent être utilisés avec quel ordinateur et dans quels buts. Il peut ou non déterminer le protocole, mais il imposera dans tous les cas des limites aux changements que l’on peut imposer à ce dernier. » Christopher M. Kelty, Two Bits. The Cultural Significance of Free Software, Durham, Duke University Press, 2008, p. 330, note 28.  Le texte est disponible sur : http://twobits.net
7Cf. Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, Paris, Gallimard & Seuil, 2004.
8Cf. Henry H. Willis et David S. Ortiz, Evaluating the Security of the Global Containerized Supply Chain, Santa Monica, Cal., RAND Corporation, 2004.
10Ou « Technologies de l’Information et de la Communication », l’équivalent de l’acronyme anglais IT, Information Technology (NDT.)
11On trouvera une très remarquable étude récente des déchets électroniques dans  Jennifer Gabrys, Digital Rubbish.A Natural History of Electronics, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2011. Cf. également Matthias Feilhauer et Soenke Zehle (eds), ‘Ethics of Waste in the Information Society’, numéro spécial de l’International Review of Information Ethics (IRIE) 11 (2009), http://www.i-r-i-e.net/issue11.htm
12Cf. Richard Maxwell et Toby Miller, ‘Creative Industries or Wasteful Ones?’, Urban China 33 (2008), p. 28-29, 122. Le texte est aussi disponible (en anglais) à: http://orgnets.net/urban_china/maxwell_miller
13J’adresse ici des remerciements particuliers aux étudiants qui ont participé au module du Master en Communicatioss Internationales que j’ai coordonné à l’University of Nottingham, Ningbo en 2009 et 2010. Leur collaboration lors du travail de terrain m’a considérablement aidé à me procurer une certaine compréhension de ces économies. On peut trouver des documents rassemblés par les étudiants sur  Urban-Media Networks,  Anthropologies of Urban Transformation, http://orgnets.cn/
14Sandro Mezzadra et Brett Neilson, ‘Border as Method, or, the Multiplication of Labor’, transversal (March, 2008), http://eipcp.net/transversal/0608/mezzadraneilson/en
15Le cadre temporel, ici, est d’environ dix ou quinze ans, bien que dans le cas des sciences, cette histoire soit bien plus longue et remonte aux années suivant la Seconde Guerre mondiale. Cf. Jean-François Lyotard, La Condition post-moderne. Rapport sur le savoir,  Paris, Les Éditions de Minuit, 1979.
16Brian Holmes résume cette situation avec son habituelle concision analytique. Répondant à un débat actuel sur Nettime à propos des modèles de publication ouverts ou fermés ou « propriétaires », il écrit: ‘Le fait que le présent séminaire soit autonome et auto-organisé est un démenti de ma conviction que manque à l’Université un espace extérieur à elle, ou pour le dire autrement, que la pensée critique a besoin de s’exprimer au-delà du complexe des obligations professionnelles que Lisa a décrites. Mais cette proposition n’est pas purement hostile : le but de (ré)établir un espace extérieur de la critique est d’aider à transformer l’intérieur, de faire naître à la fois l’ impulsion et le désir de nouvelles formes d’éducation et d’activité intellectuelle. Le changement institutionnel est fondamentalement nécessaire. Seul un système universitaire critique peut faire naître les aptitudes propres à diriger la société du savoir, ou ce que l’on désigne plus justement comme capitalisme cognitif.   Brian Holmes, ‘Re: <nettime> some more nuanced thoughts on publishing, editing, reading, using’, posting to Nettime mailing list, 30 July 2011, http://nettime.org
17Cf. Geert Lovink et Ned Rossiter, ‘In Praise of Concept Production: Formats, Schools and Non-Representational Media Studies’, in Kelly Gates (ed.) Media Studies Futures, Cambridge, Polity Press (à paraître.)
18Néanmoins, le temps de la production du savoir a un pouvoir constitutif dans la formation de nouveaux sujets de classe. Comme l’a noté  Bernard Stiegler à propos de l’ouvrage de Lazzarato Le Gouvernement des inégalités, Critique de l’insécurité néolibérale (Paris, éditions Amsterdam, 2008): « Maurizio Lazzarato montre très bien comment cette élimination du temps du savoir constitue le cœur même du projet de « gouvernement des inégalités » en quoi consiste le néolibéralisme, au moment même où l’idéologie veut faire croire que le capitalisme cognitif qui prolétarise ainsi les « sachants », comme les appelait Jean-François Lyotard, tente de se faire passer pour une « société de savoir ». Bernard Stiegler, Pour une nouvelle critique de l'économie politique,  Paris, Galilée, 2009, p. 66, note. Les italiques sont dans l’original.
20Cf. TizianaTerranova, ‘Another Life’, loc.cit.
21Étienne Balibar, Les frontières de la démocratie, Paris: La Découverte, 1992.Cf. également Manuela Bojadzijev et Isabelle Saint-Saëns, ‘Borders, Citizenship, War, Class: A Discussion with Étienne Balibar and Sandro Mezzadra’, New Formations 58 (2006), p. 22-24.
22On trouvera une analyse plus approfondie du développement de la Ville Nouvelle de Rajarhat, située dans la périphérie nord-est de Kolkata, dans Brett Neilson et Ned Rossiter, ‘The Logistical City’, Transit Labour : Circuits, Regions, Borders, 30 juillet 2011, http://transitlabour.asia/blogs/logisticity. Cf. aussi les textes empiriquement plus détaillés de Ishita Dey, Suhit Sen et Ranabir Samaddar sur le site Transit Labour.

 

notes

1Voir sur ces thèmes, respectivement, Tiziana Terranova, ‘Another Life: the Nature of Political Economy in Foucault’s Genealogy of Biopolitics’, Theory, Culture & Society 26.6 (2009), p.  234-262 et Matteo Pasquinelli, ‘Google’s PageRank Algorithm: A Diagram of the Cognitive Capitalism and the Rentier of the Common Intellect’, in Konrad Becker et Felix Stalder (eds), Deep Search, Londres,  Transaction Publishers, 2009. Le texte est disponible à  http://matteopasquinelli.com/docs/Pasquinelli_PageRank.pdf
2Alexander Galloway, ‘Protocol’, Theory, Culture & Society 23.2-3 (2006): 317. Cf. également Alexander R. Galloway, Protocol: How Control Exists after Decentralization, Cambridge, Mass.,  MIT Press, 2004.
3Autrement dit les « Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce » de l’Organisation Mondiale du Commerce. (NDT)
4Cf. le fascinant travail de Melinda Cooper, qui a étudié l’économie et la géopolitique des essais cliniques au travail,   dans le contexte de l’industrie pharmaceutique, et dont l’émergence peut être considérée en partie comme une manière de compenser les pertes de profits dus à la diminution des droits provenant des IPR (régimes de la propriété intellectuelle) en raison de la disponibilité croissante de médicaments génériques ; ce dernier phénomène peut à son tour être considéré comme une sorte d’économie pirate, qui se recoupe même avec des aspects de la culture de l’open source (logiciels libres de droits).  Melinda Cooper,  ‘Experimental Labour-Offshoring Clinical Trials to China’, EASTS East Asian Science, Technology and Society: An International Journal 2.1 (March 2008): 73-92.
5Cf. Martha Lampland et Susan Leigh Star (eds), Standards and their Stories. How Quantifying, Classifying and Formalizing Practices Shape Everyday Life, Ithaca, Cornell University Press, 2009.
6Mais il peut aussi y avoir des standards pour les protocoles. Le modèle  TCP/IP des communications Internet, par exemple, est un protocole des communications sur Internet qui s’est établi comme standard. Christopher Kelty fait la remarque suivante à propos de la relation entre protocoles, applications et standards dans les processus computationnels : «  Il y a une importante distinction entre un protocole, une application (implementation) et un standard :  les protocoles sont des descriptions précises des termes qui permettent à deux ordinateurs de communiquer entre eux (i.e., un dictionnaire et un manuel de communication). L’application  est la création d’un logiciel qui utilise un protocole  (i.e., qui établit effectivement la communication, de sorte que deux applications utilisant le même protocole doivent pouvoir partager des données.). Un standard définit quels protocoles doivent être utilisés avec quel ordinateur et dans quels buts. Il peut ou non déterminer le protocole, mais il imposera dans tous les cas des limites aux changements que l’on peut imposer à ce dernier. » Christopher M. Kelty, Two Bits. The Cultural Significance of Free Software, Durham, Duke University Press, 2008, p. 330, note 28.  Le texte est disponible sur : http://twobits.net
7Cf. Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, Paris, Gallimard & Seuil, 2004.
8Cf. Henry H. Willis et David S. Ortiz, Evaluating the Security of the Global Containerized Supply Chain, Santa Monica, Cal., RAND Corporation, 2004.
10Ou « Technologies de l’Information et de la Communication », l’équivalent de l’acronyme anglais IT, Information Technology (NDT.)
11On trouvera une très remarquable étude récente des déchets électroniques dans  Jennifer Gabrys, Digital Rubbish.A Natural History of Electronics, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2011. Cf. également Matthias Feilhauer et Soenke Zehle (eds), ‘Ethics of Waste in the Information Society’, numéro spécial de l’International Review of Information Ethics (IRIE) 11 (2009), http://www.i-r-i-e.net/issue11.htm
12Cf. Richard Maxwell et Toby Miller, ‘Creative Industries or Wasteful Ones?’, Urban China 33 (2008), p. 28-29, 122. Le texte est aussi disponible (en anglais) à: http://orgnets.net/urban_china/maxwell_miller
13J’adresse ici des remerciements particuliers aux étudiants qui ont participé au module du Master en Communicatioss Internationales que j’ai coordonné à l’University of Nottingham, Ningbo en 2009 et 2010. Leur collaboration lors du travail de terrain m’a considérablement aidé à me procurer une certaine compréhension de ces économies. On peut trouver des documents rassemblés par les étudiants sur  Urban-Media Networks,  Anthropologies of Urban Transformation, http://orgnets.cn/
14Sandro Mezzadra et Brett Neilson, ‘Border as Method, or, the Multiplication of Labor’, transversal (March, 2008), http://eipcp.net/transversal/0608/mezzadraneilson/en
15Le cadre temporel, ici, est d’environ dix ou quinze ans, bien que dans le cas des sciences, cette histoire soit bien plus longue et remonte aux années suivant la Seconde Guerre mondiale. Cf. Jean-François Lyotard, La Condition post-moderne. Rapport sur le savoir,  Paris, Les Éditions de Minuit, 1979.
16Brian Holmes résume cette situation avec son habituelle concision analytique. Répondant à un débat actuel sur Nettime à propos des modèles de publication ouverts ou fermés ou « propriétaires », il écrit: ‘Le fait que le présent séminaire soit autonome et auto-organisé est un démenti de ma conviction que manque à l’Université un espace extérieur à elle, ou pour le dire autrement, que la pensée critique a besoin de s’exprimer au-delà du complexe des obligations professionnelles que Lisa a décrites. Mais cette proposition n’est pas purement hostile : le but de (ré)établir un espace extérieur de la critique est d’aider à transformer l’intérieur, de faire naître à la fois l’ impulsion et le désir de nouvelles formes d’éducation et d’activité intellectuelle. Le changement institutionnel est fondamentalement nécessaire. Seul un système universitaire critique peut faire naître les aptitudes propres à diriger la société du savoir, ou ce que l’on désigne plus justement comme capitalisme cognitif.   Brian Holmes, ‘Re: <nettime> some more nuanced thoughts on publishing, editing, reading, using’, posting to Nettime mailing list, 30 July 2011, http://nettime.org
17Cf. Geert Lovink et Ned Rossiter, ‘In Praise of Concept Production: Formats, Schools and Non-Representational Media Studies’, in Kelly Gates (ed.) Media Studies Futures, Cambridge, Polity Press (à paraître.)
18Néanmoins, le temps de la production du savoir a un pouvoir constitutif dans la formation de nouveaux sujets de classe. Comme l’a noté  Bernard Stiegler à propos de l’ouvrage de Lazzarato Le Gouvernement des inégalités, Critique de l’insécurité néolibérale (Paris, éditions Amsterdam, 2008): « Maurizio Lazzarato montre très bien comment cette élimination du temps du savoir constitue le cœur même du projet de « gouvernement des inégalités » en quoi consiste le néolibéralisme, au moment même où l’idéologie veut faire croire que le capitalisme cognitif qui prolétarise ainsi les « sachants », comme les appelait Jean-François Lyotard, tente de se faire passer pour une « société de savoir ». Bernard Stiegler, Pour une nouvelle critique de l'économie politique,  Paris, Galilée, 2009, p. 66, note. Les italiques sont dans l’original.
20Cf. TizianaTerranova, ‘Another Life’, loc.cit.
21Étienne Balibar, Les frontières de la démocratie, Paris: La Découverte, 1992.Cf. également Manuela Bojadzijev et Isabelle Saint-Saëns, ‘Borders, Citizenship, War, Class: A Discussion with Étienne Balibar and Sandro Mezzadra’, New Formations 58 (2006), p. 22-24.
22On trouvera une analyse plus approfondie du développement de la Ville Nouvelle de Rajarhat, située dans la périphérie nord-est de Kolkata, dans Brett Neilson et Ned Rossiter, ‘The Logistical City’, Transit Labour : Circuits, Regions, Borders, 30 juillet 2011, http://transitlabour.asia/blogs/logisticity. Cf. aussi les textes empiriquement plus détaillés de Ishita Dey, Suhit Sen et Ranabir Samaddar sur le site Transit Labour.