Premiers constats sur la révolution tunisienne

Olfa LAMLOUM

Traducteur : JENVRIN Géraldine


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Personne ne peut aujourd’hui prédire la forme que prendra le paysage politique tunisien dans les mois à venir, ni à quoi aboutiront la mobilisation et le vide constitutionnel actuels. Car la cadence à laquelle se produisent les événements, au niveau national comme régional, ouvre de nombreuses alternatives qu’il est possible - en écartant le scénario du total retour en arrière - de classer selon leurs diverses configurations et rythmes éventuels, à l’intérieur de deux horizons. Le premier renvoie à la réalisation des objectifs de la révolution politique en tant que rupture radicale avec l’ordre ancien qui impliquerait l’institution d’un ordre nouveau organisant les différentes sphères du pouvoir (en termes de mode de désignation, de prérogatives et de règles juridiques et politiques régissant les relations entre elles). Le second se résumerait à des réformes qui impliqueraient l’abandon de certains mécanismes hérités de l’ordre ancien et la mise à l’écart des figures les plus compromises de son personnel politique. Cela, afin de revivifier les ressources de légitimité du pouvoir et de mobiliser le consentement en sa faveur. La période transitoire qu’a inaugurée la fuite de Ben Ali le 14 janvier 2011, a élargi – comme jamais dans l’histoire contemporaine de la Tunisie - le champ des possibles dans les domaines politique et social. Ainsi, il ne serait pas pertinent aujourd’hui d’analyser les transformations en cours en l’absence d’un espace de temps nécessaire à la cristallisation de la scène politique, permettant de distinguer les aspects contingents des aspects structurels. Par conséquent, cette contribution ne prétend, que formuler quelques constats et questionnements.

1- La première question qui s’impose : pourquoi est-ce la Tunisie qui a sonné le glas de l’ordre autoritaire dans l’espace arabe ? Le régime de Ben Ali en était-il le maillon le plus faible ? Ou bien, l’explosion de la colère et de la rage populaire - suite à l’immolation de Muhammad Al-Buazizi -  était-elle un pur hasard de l’Histoire ? La Tunisie présente-t-elle des caractéristiques qui ont facilité le déclenchement du soulèvement populaire ? S’il est impossible de répondre de manière catégorique à cette question, celle-ci invite sans aucun doute à un retour critique sur l’ensemble des recherches académiques publiées ces dernières années sur ce pays. La levée de la censure et des entraves policières après le 14 janvier, ouvre aujourd’hui la voie à des recherches de terrain et offre de meilleures conditions pour la construction d’une connaissance empirique et académique moins hypothétique sur les mutations sociales et politiques survenues ces deux dernières décennies en Tunisie. De nombreuses études portant sur le modèle autoritaire instauré par Ben Ali ont été publiées ces dernières années : une partie d’entre elles a exploré le démantèlement des structures du pouvoir de Bourguiba (Murphy, 1999) ; une autre, a analysé le « délitement de la cité », discutant de ses  crises sous-jacentes (Khiari, 2004). D’autres études ont abordé la « sectorisation des sphères du pouvoir » (Camau, Geisser, 2003) ; ou encore analysé le système bancaire tunisien afin de saisir la structure de « l’économie politique du consentement », considérée comme le pilier de la pérennité du pouvoir de Ben Ali (Hibou, 2006). Or, malgré la diversité de leurs approches, la plupart de ces recherches se sont contentées, implicitement ou par le choix des corpus retenus, d’appréhender le pouvoir de Ben Ali au travers de sa gestion et de son encadrement des classes moyennes (ou considérées comme telles) dans l’espace urbain.

Le soulèvement populaire spontané qu’a connu la Tunisie à partir de décembre 2010 a éclaté dans les régions de l’intérieur éloignées de la côte et de la capitale (Sidi Bouzid, al-Raguab, Manzel-Bouzaiane, al-Guasirin, Thala, le bassin minier) en mobilisant pour l’essentiel des jeunes et des chômeurs qui comptaient parmi eux des diplômés, révélant par là même l’ampleur de la frustration accumulée face au vol organisé de l’argent public. Cela nous invite à renouveler notre lecture du modèle autoritaire tunisien à la lumière d’un examen à la fois plus global et plus circonstancié de la dualité « coercition/consentement ». L’objectif étant de mieux analyser les ressorts symboliques, sociaux et économiques de la coercition ainsi que les disparités régionales marquant la mobilisation du consentement. Cette relecture des modes de régulation déployés dans l’exercice du pouvoir et du maintien de l’hégémonie durant les vingt-trois années passées, permettra de saisir et de déconstruire les combinaisons variables de la structure du contrôle social et politique exercé par le régime du 7 novembre, y compris au regard des espaces sociaux et territoriaux que les politiques de Ben Ali avaient tenus à la marge de la sphère de socialisation par le marché, et des tentations de la « société de consommation ».

 

Ces reconsidérations permettront de formuler de nouvelles réponses et d’enrichir une connaissance critique de ce que certains médias occidentaux avaient baptisé « l’exception tunisienne », désignant ainsi les prétendus succès tunisiens en termes de taux de croissance économique réalisé en l’absence de démocratie. De même, elles apporteront un éclairage inédit sur les modèles sociaux et politiques d’intégration/marginalisation engendrés par les politiques néolibérales dans le contexte autoritaire et dans une perspective comparative intégrant d’autres pouvoirs arabes.

Pour revenir à la première question : pourquoi la Tunisie a-t-elle inauguré l’ère des révolutions dans le monde arabe ? Il convient ici de signaler que ce questionnement autorise l’examen du cas tunisien dans une perspective comparative régionale à l’aune de ses éléments distinctifs : l’homogénéité ethnique et confessionnelle, l’absence de la manne pétrolière, l’éloignement par rapport au conflit israélo-arabe, le niveau d’éducation…   

 

2- Le déclenchement soudain du soulèvement, et le fait que celui-ci soit parvenu à imposer la fuite du chef de l’Etat – pour la première fois dans l’histoire contemporaine de la Tunisie -, interroge la force sociale qui en fut le moteur. Nombreux, sont ceux qui ont relevé l’importance de la protestation électronique, la considérant comme le facteur déterminant dans le déroulement  des événements. Il est certes vrai que les téléphones mobiles équipés de caméras ainsi que les médias sociaux (blogs, Facebook, Twitter…), en raison précisément de leur fluidité, leur horizontalité ainsi que de l’étendue de leur diffusion, ont eu un impact inédit dans l’histoire des mouvements sociaux en Tunisie. La contestation électronique, qui resta à l’abri de la censure policière joua un rôle catalyseur dans les mobilisations1. Elle fut, dès le mois de décembre 2010, un indispensable relais dans la diffusion des voix et des images des contestataires rendant instantanément visible la répression dont ils ont été victimes (contrairement au mouvement du bassin minier en 20082). C’est ainsi que Facebook a constitué un nouveau cadre pour l’action collective, jouant à plusieurs égards le rôle de moteur et d’instigateur dans la mise en place de modes variés de mobilisation et permettant la construction de réseaux de communications entre les différents acteurs du soulèvement, l’obtention de soutien pour leur action et la transmission d’expériences militantes entre les différentes régions. Il fut ainsi le médium principal de la diffusion des slogans (particulièrement celui qui synthétise sans aucun doute le sens du soulèvement : Dégage), de leur unification, et de leur impact en termes de production de ce que l’intellectuel palestinien, ‘Azmi Bashara, appela « le temps national harmonieux », qui atteignit son apogée le 14 janvier lorsque la majorité exigea le départ de Ben Ali suite à son troisième discours. Certes, ces médias n’auraient pas joué ce rôle s’ils ne s’inscrivaient pas dans un processus cumulatif de luttes antérieures ; si de nombreuses manifestations et grèves apparues de manière spontanée ou à l’initiative de collectifs organisés, syndicaux ou politiques, lors de nombreux épisodes, ne les avaient, accompagnés voire devancés (tout particulièrement au niveau des régions de l’intérieur). Cependant, quelles que soient les appréciations faites quant à l’impact réel des médias sociaux, force est de constater qu’ils incarnent les mutations sociologiques que connaît l’action collective en Tunisie à l’image du reste de l’espace arabe. De fait, ces médias révèlent et synthétisent l’entrée en force d’un nouvel acteur sur la scène de l’action sociale et politique, qui revendique son droit à prendre en charge son avenir et conteste l’hégémonie des élites dirigeantes désuètes et de celles qui les ont appuyées de gré ou de force.

Cet acteur est, bel et bien, la nouvelle génération de jeunes, qui a grandi durant les deux décennies du pouvoir de Ben Ali et a fréquenté les écoles et les universités sans grande illusion quant à la perspective de trouver un emploi. Dans sa majorité, cette jeunesse est restée hors des appareils d’encadrement et de contrôle social et politique du pouvoir, et en marge de ses réseaux clientélaires. Elle n’a pas connu des expériences organisationnelles syndicales ou politiques oppositionnelles et n’a pas été touchée par le désenchantement qui a marqué l’activisme militant en Tunisie dans le sillage des années 1990. Deux grands traits semblent caractériser cette génération aujourd’hui. Le premier réside dans sa politisation et son audace, lesquelles ont certainement été nourries par l’usage des médias satellitaires (en particulier la chaîne al-Jazira) et électroniques, qui lui ont permis de développer un langage unifié et une appréhension fine des enjeux de son engagement dans la bataille, ainsi qu’une grande ouverture sur son environnement arabe. Le second renvoie à la conscience d’une partie de cette jeunesse de l’absence de perspective de promotion sociale, sans un changement véritable du pouvoir. Cela explique, à mes yeux, la radicalité de ses formes d’action et l’obstination qu’elle a montré dans deux de ses revendications essentielles : la dissolution de l’ancien parti au pouvoir (le Rassemblement constitutionnel démocratique) et l’élection d’une assemblée nationale constituante, censée promulguer une nouvelle constitution pour le pays. Les deux sit-in organisés sur la place de la Kasba devant le siège du gouvernement, en sont peut-être les meilleures illustrations. Le premier a suivi la fuite de Ben Ali et conduit à la chute du premier gouvernement de Muhammad al-Ghanoushi, accélérant, par là, la décision de suspendre les activités de l’ancien parti au pouvoir. L’instigateur de ce sit-in était un groupe de jeunes du village de Manzel-Bouzaiane3 qui avait décidé de se rendre à Tunis à pied, pour « exiger que toutes les figures symboles de l’ancien régime se retirent du pouvoir »4. Sur sa route, il est parvenu à mobiliser d’autres groupes et à gagner du soutien à travers les médias sociaux, puis a fini par rallier quelques organisations politiques dans la capitale. Il en a été de même pour le second sit-in qui débuta le 20 février et dans l'organisation duquel Facebook a joué un rôle déterminant. Dominé par la participation de la jeunesse, il a mené au renversement du deuxième gouvernement d’al-Ghanoushi et imposé la revendication de l’élection d’une assemblée constituante.

Malgré cela, nous ne pouvons, quoi qu’il en soit, considérer Shabâb al-thawra (« la jeunesse de la révolution »), ainsi désignée dans les médias, comme un corps unifié dont toutes les composantes sont impliquées avec la même intensité dans les diverses formes d’action collectives, ou animées par le même niveau de politisation ou encore ayant la même clarté de vision. Cette jeunesse représente une entité politiquement hétérogène, marquée par des origines sociales et des modes de socialisation multiples et promise à des horizons différents d’intégration au marché du travail. Elle connaîtra des différenciations, des polarisations et produira des formes organisationnelles, qui auront un impact capital sur la cristallisation des rapports de force dans le pays.

 

3- Le paysage sur lequel s’est éveillée la Tunisie le 14 janvier, constitue une étape transitoire caractérisée par un conflit entre deux ordres dont les conséquences ne sont pas encore déterminées. Le premier est ancien, il tente de gagner du temps pour se restaurer, en essayant de s’adapter à la nouvelle situation et d'apparaître dans une forme nouvelle qui lui garantira la sauvegarde de ses principales structures et institutions, la conservation des intérêts de ses élites, ainsi que la défense de ses positions et de ses allégeances régionales et internationales. Le second ordre est en cours de formation, il est uni par l’élan suscité par le départ de Ben Ali et porté par les acquis politiques réalisés depuis. Chaque camp est traversé par des tensions et des contradictions.

L’ordre ancien, bien que le régime du 7 novembre ait reçu un coup dur avec la fuite de Ben Ali, est parvenu dès le 15 janvier, malgré un certain flottement, à maîtriser le transfert de l’autorité et à éviter toute forme de dualité de pouvoir. Il est donc resté le principal détenteur des rouages de la décision politique et économique et a pu conserver la cohésion de ses appareils (le ministère de l’intérieur, le commandement de l’armée, le système bancaire, les structures économiques et administratives ainsi que les celles attachées à sa politique étrangère comprenant des accords sécuritaires et économiques…). En contrepartie, il a été confronté à une grande hésitation et une grande confusion : la forte pression de la rue et la radicalité de ses revendications, l'ont poussé à faire de nombreuses concessions par lesquelles il a tenté d’instaurer des mécanismes qui lui permettent de rester l’ultime arbitre dans le processus politique en cours et le garant de ses garde-fous. Etant donnée la rapidité avec laquelle ces concessions ont été imposées et leur impact cumulatif, celles-ci ont renforcé la confusion du régime et l’ont poussé à sacrifier certaines de ses structures (comme l’ancien parti au pouvoir) et quelques unes de ses fidèles figures, amplifiant au final son embarras et rétrécissant sa marge de manœuvre et ses possibilités de conjurer les revendications des contestataires.

De l’autre côté, se trouve un mouvement social très mobilisé œuvrant pour une transition politique qui rompe avec le système autoritaire, uni autour de la revendication de l’élection d’une assemblée constituante qui devra instituer une ère nouvelle. Ce mouvement se compose de collectifs et de structures inégalement hiérarchisées et centralisées, variablement homogènes, disposant de forces militantes et de capacité de mobilisation disparates. Ces collectifs sont issus de courants idéologiques divers, se revendiquant de traditions organisationnelles différentes (partis, ONG, comités régionaux de défense de la révolution, structures syndicales de base, militants indépendants, jeunes blogueurs, mouvement étudiant, jeunesse engagée dans nombreuses formes de contestation, noyaux de directions régionales …) et ne partagent pas les mêmes objectifs. Reste que la force de ce mouvement social réside essentiellement dans sa réussite à avoir brisé le mur de la peur, en s’appuyant sur un élan militant inouï, déployé dans des mobilisations multisectorielles et des structures de coordinations inédites, élargissant les espaces de contestation contre le pouvoir actuel et imposant des acquis réels. Quant à ses deux points faibles fondamentaux, ils résident selon moi, d’une part dans son incapacité à proposer une alternative sociale répondant aux attentes d’un grand nombre de chômeurs, de marginaux et de pauvres des régions défavorisées ; et d’autre part, dans la faiblesse de ses composantes politiques organisées.

La période précédente illustre très bien ce fait : tous les partis de l’opposition5, furent surpris par le soulèvement populaire et par la vacance au sommet du pouvoir. Ils sont apparus en position d’attentisme, incapables de dépasser l’ancienne légitimité constitutionnelle, non préparés à provoquer une dualité du pouvoir, en marge du mouvement populaire spontané ainsi que des comités d’auto-défense des quartiers, constitués aux lendemains du départ de Ben Ali. Deux composantes essentielles constituent aujourd’hui le paysage de l’opposition organisée : le premier est le parti islamiste « al-Nahda » qui, 30 ans après sa création, se retrouve légalisé et peut pour la première fois s’engager dans l’action non clandestine. Après des années de répression, de démantèlement et de paralysie, voilà qu’il lui est enfin possible de se recomposer, de se restructurer et d’entreprendre une évaluation interne des dommages subis. S’il n’y a pas de doute sur les potentialités de ce parti à mobiliser à l’avenir, son agir politique sera conditionné à moyen terme par son impératif de restructuration interne. La seconde composante est représentée par les organisations de gauche, dont le Parti communiste des travailleurs tunisiens constitue le groupe le plus centralisé. Mais les divisions de cette gauche, son incapacité à proposer une stratégie politique globale et sa fragilité due tout à la fois à la répression dont elle a été la cible durant les années de Ben Ali et au blocage de son activité par la direction de la centrale syndicale (UGTT), la rendent inapte dans son état actuel à jouer un rôle moteur à l’avenir. Partant, les deux forces fondamentales de ce mouvement social qui auront un rôle déterminant dans cette période transitoire seront l’UGTT et « Shabâb al-thawra ». La première, du fait de son poids social et de la légitimité dont elle jouit, constitue un acteur de taille dont l’importance s’est illustrée ces derniers mois dans toutes les régions ayant vu des manifestations et des grèves générales, avant et après la chute de Ben Ali (Sfax, Gabes…). La période à venir laisse présumer que cette organisation récupérera son indépendance par rapport au pouvoir et qu’elle se départira de sa direction compromise avec le régime de Ben Ali, celle-là même qui brida des années durant les revendications ouvrières et les grèves. Quant à l’autre force, elle est incarnée par cette jeunesse qui a conduit la confrontation avec les appareils répressifs de Ben Ali, organisé la contestation ainsi que les manifestations, et expérimenté au cours des deux mois passés sa force et son impact.

 

4- Nombreux sont les commentateurs qui ont affirmé que le soulèvement en Tunisie n’avait pas d’idéologie. D’autres ont souligné l’impossibilité de le comparer à la révolution française, d’autres encore l’ont qualifié de mouvement « post-islamiste », ou y ont vu la résurgence d’un nouveau panarabisme. Toutefois, quelles que soient les catégorisations politiques utilisées pour qualifier cet événement qui a secoué la Tunisie et la région et qui demande du temps pour en saisir toutes les conséquences, nous pouvons, malgré tout, avancer trois remarques rapides. La première concerne la labellisation du soulèvement telle qu’elle s’est imposée en Tunisie à savoir : « la révolution de la liberté et de la dignité »6. Cette appellation, en raison des dimensions sociales et démocratiques qu’elle combine, est la meilleure expression des espoirs portés par un nombre considérable de jeunes qui se sont engagés dans le soulèvement dès ses premiers jours dans l’ouest du pays et par ceux qui les ont rejoints plus tard dans les quartiers et les banlieues pauvres de la capitale (al-Tadamun, al-Mnihla, al-kram…).

Ces aspirations feront que la dimension de classe et le clivage social, qu’ils soient escamotés ou apparents, constitueront dans cette période transitoire, un enjeu essentiel dans le ralliement des différents acteurs et la cristallisation ou la polarisation des différents groupes sociaux, aussi bien sur le plan local que national.

La deuxième remarque a trait au fait que la faiblesse des partis d’opposition et leur quasi-inexistence dans certains foyers du soulèvement ont favorisé l’apparition sur le terrain de la lutte de collectifs militants, de leaders locaux et de structures de coordinations régionales (dont l’expérience la plus avancée est celle du bassin minier et les villages de l’ouest du gouvernorat de Tozeur). L’ensemble de ces nouveaux cadres qui disposent d’une légitimité et d’une expérience forte de lutte aura un rôle considérable à jouer dans la recomposition de l’espace politique national en Tunisie ainsi qu’une influence directe sur la cristallisation des rapports de force en son sein.

Enfin, et indépendamment de la validité de l’hypothèse d’un nouvel éveil panarabe dans la région, personne ne peut douter du fait que ce qui se passe en Tunisie a un impact sur l’évolution des mobilisations dans son environnement arabe et qu'elle en subira en retour les répercussions. Cette relation d’influences réciproques qu’il est devenu courant d’appeler « la théorie des dominos », ne renvoie pas seulement à l’élan qu’a fait naître le spectacle de la chute des présidents arabes le « vendredi »7, mais se réfère aussi à ces nouvelles formes de solidarité et de coordinations qui apparurent successivement entre les jeunes militants dans l’espace arabe (comme cela arriva entre des blogueurs ou des groupes sur Facebook, en Tunisie, en Egypte et en Lybie…). Ces influences réciproques se donnent aussi à voir à travers la formation progressive d’un répertoire commun et transnational de mobilisation. La revendication d’une nouvelle constitution promulguée par une assemblée élue comme cela est exigé en Tunisie, en Egypte et au Bahreïn, en est peut-être le signe le plus manifeste.

 

 

Références citées

Camau Michel, Geisser, Vincent, 2003, Le syndrome autoritaire. Politique en Tunisie de Bourguiba à Ben Ali, Paris, Presses de sciences Po.

Hibou, Béatrice, 2006 : La force de l’obéissance. Economie de la répression en Tunisie, Paris, La découverte.

Khiari, Sadri, 2004 : Tunisie : Le délitement de la cité : coercition, consentement, résistance, Paris, Karthala.

Murphy, Emma C. 1999, Economics and Political Change in Tunisia. From Bourguiba to Ben Ali, London, Mac Millan Press, New York, St. Martin’s Press.

1Ainsi, la grande manifestation du 14 janvier à Tunis fut précédée par celle de Sfax organisée le 13 janvier dont les photos largement diffusées sur Facebook  encouragèrent beaucoup de Tunisiens à descendre dans la rue.  
2« Nous avons tiré les leçons des luttes de Hawd al-Manjimi, en formant depuis le premier jour de la contestation et des affrontements avec la police, un comité de média chargé de photographier le mouvement et sa répression en vue de diffuser ces photos sur internet et de les transmettre à Al-Jazira » . Entretien avec un jeune avocat, Sidi Bouzid, 15/02/2011. 
3Qui vit tomber le premier martyre, Muhammad Umari, tué par balle par la police, le 24 décembre 2010. 
4Entretien, Manzal Bouzyan, 16/02/2011.
5J’exclus ici les partis qui étaient reconnus sous Ben Ali et qui ont accepté pour deux d’entre eux de participer au gouvernement d’al-Ghanoushi.
6A la différence de l’appellation courante utilisée par les médias occidentaux qui la nommèrent à la hâte : « la Révolution du Jasmin ».
7En allusion ici à ce qui est répété en plaisantant  sur Facebook après les départs successifs de Ben Ali et de Mubarak un vendredi.

notes

1Ainsi, la grande manifestation du 14 janvier à Tunis fut précédée par celle de Sfax organisée le 13 janvier dont les photos largement diffusées sur Facebook  encouragèrent beaucoup de Tunisiens à descendre dans la rue.  
2« Nous avons tiré les leçons des luttes de Hawd al-Manjimi, en formant depuis le premier jour de la contestation et des affrontements avec la police, un comité de média chargé de photographier le mouvement et sa répression en vue de diffuser ces photos sur internet et de les transmettre à Al-Jazira » . Entretien avec un jeune avocat, Sidi Bouzid, 15/02/2011. 
3Qui vit tomber le premier martyre, Muhammad Umari, tué par balle par la police, le 24 décembre 2010. 
4Entretien, Manzal Bouzyan, 16/02/2011.
5J’exclus ici les partis qui étaient reconnus sous Ben Ali et qui ont accepté pour deux d’entre eux de participer au gouvernement d’al-Ghanoushi.
6A la différence de l’appellation courante utilisée par les médias occidentaux qui la nommèrent à la hâte : « la Révolution du Jasmin ».
7En allusion ici à ce qui est répété en plaisantant  sur Facebook après les départs successifs de Ben Ali et de Mubarak un vendredi.