Théories post-cosmopolitiques: Différence sexuelle, vernacularisation et l’art après Angkor

Une première version de ce texte a paru dans Berger et Varikas 2011.

Ashley THOMPSON


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Origines et avenirs

La culture elle-même, dit Jacques Derrida dans Le monolinguisme de l’autre, ce qu’on appelle la culture est toujours, par définition, universellement, originairement, coloniale. Plus précisément, il dit qu’il y a une « colonialité essentielle » de la culture : « le ‘colonialisme’ et la ‘colonisation’ ne sont que des reliefs, (...) surenchère de violence (...) d’une colonialité essentielle (...) de la culture » (Derrida 1996 : 47). Derrida est en train de parler de la langue, dont, insiste-t-il, il n’y a pas de « propriété naturelle » (46) ; au contraire, la « division active » de celle-ci en fait un « lieu de jalousie », « lieu de quête d’histoire et de filiation » (22). Ces formulations mettent en question de manière radicale le point de départ théorique des études postcoloniales. Car si toute culture est coloniale, il n’y aurait aucun sens à parler d’un état ou d’un temps postcolonial. Mais loin de dicter sur le plan éthique ou politique le surgissement d’une impuissance relativiste voire d’une force réactionnaire, cette loi de la culture coloniale est précisément, selon Derrida, ce à partir de quoi on peut espérer prendre la mesure de la violence insoutenable de l’hégémonie expropriatrice appelée communément colonisation.

C’est à la lumière d’une telle « universalisation prudente et différenciée » (44) de la « colonialité » que je me pencherai sur les rapports entre deux périodes historiques du Cambodge – l’angkorienne et la post-angkorienne. Il y sera question surtout de l’expression de la différence sexuelle dans la conception de l’identité territoriale et de sa transmission d’une époque historique à l’autre. L’étude se focalisera sur l’expérience de la langue en ce qu’elle « donne lieu », dit Derrida, à une certaine « articulation entre l’universalité transcendantale ou ontologique et la singularité exemplaire ou témoignante de l’existence martyrisée » (50).

 

Permettez-moi de m’expliquer sur plusieurs points préliminaires, à commencer par la périodisation de l’histoire que je rejette d’une main, en quelque sorte, pour la rattraper de l’autre - geste que je conçois comme une modeste radicalisation derridienne de certaines formulations de Homi Bhabha. Si on peut effectivement penser, pour aller vite, trop vite, que Homi Bhaba est bien inspiré de chercher à libérer le postcolonial d’une temporalité de l’après inscrite dans une conception linéaire de l’Histoire, il n’en demeure pas moins vrai que le présent-futur qu’habite la notion de post-colonial qu’il rallie, se définissant par une rupture avec le schéma classique de l’histoire linéaire, ce passé du passé-présent-futur – ce présent-futur que promet et promeut Homi Bhaba risque de finir par s’inscrire de nouveau dans ce même schéma classique. Se rattachant au passé par la proclamation même de rupture, l’actualité d’« une révision radicale du concept de la communauté humaine elle-même» (Bhabha 1994: 6)1  reste suspecte. En effet, on est déjà dans l’après tant répudié. Or, cette rupture supposée avec le passé est constituée d’une quasi-fusion entre présent et futur, où ce dernier serait en quelque sorte actualisé : « Si le jargon de notre temps – post-modernité, post-colonialité, post-féminisme – a un sens quelconque, celui-ci ne se trouve pas dans la signification populaire du post – pour indiquer la séquentialité – post-féminisme, ou la polarité – anti-modernisme. Ces termes, qui tendent de manière insistante vers l’au-delà, n’incarnent son énergie surexcitée et révisionnaire que dans la mesure où ils transforment le présent en un site élargi et ex-centrique de l’expérience et de pouvoir » (Bhabha 1994 : 4)2. C’est une autre façon de dire, encore, qu’on est déjà dans l’après, un après qui serait après l’après, certes, mais tout de même après. Ce n’est pas la même chose que d’accepter les bras ouverts l’implacable marche en avant de l’histoire, mais ce n’est pas non plus laisser cette histoire derrière soi.

La radicalisation derridienne consisterait d’abord à résister à la tentation d’en finir avec le passé pour accueillir un futur neuf et sans attaches : la culture est toujours, par définition, universellement, coloniale, dirait-il. Et c’est cette affirmation même qui promet l’actualisation future d’une communauté radicalement autre. S’il y avait un sens à parler d’un état ou d’un temps postcolonial, ce serait alors dans la mesure où le passé est toujours déjà d’actualité, et où l’avenir, peut-être pourrait-on dire le post-, reste précisément à venir. C’est une prédiction de ce que j’essaierai de formuler sur la récupération de la perte à l’origine, chaque fois renouvelée, de l’état ou du système culturel khmer. Et ceci expliquerait de façon plus ou moins oblique mon choix de formuler mon projet ici selon une conception linéaire de l’histoire, et en même temps, sur une période historique située hors de ce qu’on nomme communément le postcolonial.

Le deuxième point préliminaire que je voudrais soulever concerne le choix, si c’en est un, de travailler une aire géopolitique excentrée, si l’on peut dire, en tout cas hors des sentiers battus des études postcoloniales : le Cambodge. C’est un accident de naissance,3 un déplacement des origines dès l’origine qui a fait que j’ai fait l’apprentissage de la langue, de la culture et de l’histoire de ce pays toujours, me semble-t-il, au bord du gouffre. L’analyste pourrait identifier les origines obscures du cosmopolitisme vernaculaire dont je prétends être l’incarnation dans la guerre dite du Vietnam, ou en remontant la chaine des traumatismes, dans l’esclavage des noirs. Le Cambodge est pour moi unheimlich, unhomely dirait H. Bhabha, pour peindre la condition postcoloniale, « sensation d’étrangement dans la relocalisation du chez soi et du monde », là où « les recoins les plus intimes de l’espace domestique deviennent des sites pour les invasions les plus complexes de l’histoire » ; le lieu où « ‘tout ce qui aurait dû rester (...) caché’ » se manifeste (Bhabha 1994 : 9-10)4.

 

Je me penche depuis un moment sur quelques questions concernant le cosmopolite et le vernaculaire au Cambodge.  En ceci, je tente de répondre au projet ambitieux élaboré depuis plus d’une décennie par le sanskritiste Sheldon Pollock, qui enseigne actuellement à l’Université de Columbia à New York, et par ses collaborateurs indianistes, pour prendre la mesure de l’hégémonie de ce qu’ils appellent le Sanskrit cosmopolis au cours du premier millénaire de notre ère ; la mesure, aussi, de l’émergence et de l’épanouissement des littératures vernaculaires dans le sillon de l’empire sanskrit en déclin. Un aspect de ma réponse s’adresse à l’appel, émis au sein du dit projet, à « provincialiser la théorie européenne, » ou du moins à mettre celle-ci de côté afin d’élaborer une approche critique appropriée aux vernaculaires des cultures non-européennes (Pollock 2004: 13). J’emploie ici le terme « vernaculaire » en me référant aussi aux traditions littéraires communément dites cosmopolites par opposition aux traditions vernaculaires dans le Sud et le Sud-est asiatique. Le projet de Sheldon Pollock dénonce l’hégémonie des cultures cosmopolites (le sanskrit en tête) dans le monde de la recherche depuis l’époque coloniale jusqu’à nos jours, et souligne l’urgence de promouvoir de façon active l’exploration des contreparties ou compétiteurs vernaculaires de celles-ci – exploration qui en elle-même opérerait une provincialisation du sanskrit. Dans un mouvement parallèle, qui provoque mon emploi quasi-exotique du  mot « vernaculaire », Pollock dénonce l’hégémonie de la théorie européenne dans cette même aire universitaire, pour souligner l’urgence de promouvoir l’exploration des cultures littéraires sud-asiatiques « du dedans ». En relevant ce double tour, par lequel le maître (sanskrit) se fait en même temps esclave (de l’Europe), je souhaite évoquer l’insistance des maîtres des études dites subalternes, dont l’un (ou en l’occurrence l’une) se fait également entendre à partir de ce haut lieu de l’épistémologie contemporaine qu’est l’université de Columbia, sur l’hétérogénéité irrévocable du sujet subalterne colonisé (Spivak 1999: 270).5 Mais mon questionnement du projet de Pollock va plus loin encore, dans la mesure où je souhaite relever l’impossibilité même d’établir une distinction nette entre l’intérieur et l’extérieur de ce qu’on appelle une culture (rappelons-le : elle est toujours déjà coloniale), et montrer à quel point le renouvellement perpétuel de cette tentative vouée à l’échec est constitutive de la culture « elle-même ». Si mon approche ne relève pas d’une quelconque stratégie de containment où l’autre espace culturel serait un fantasme qui permettrait la déconstruction des limites épistémologiques de l’Ouest (Bhabha 1994: 31), je cherche aussi à dépasser le désir inverse de surinvestissement d’ Area Studies  dans lesquelles une accumulation incessante de matériel contribuerait à la formulation d’une autre épistémologie, que ce soit pour mieux déconstruire les limites de la tradition occidentale, pour redresser la balance Est-Ouest ou bien pour arriver à des généralités encore plus universelles, comme pour fonder une épistémologie globale (Bhabha 1994: 42). Je m’intéresse aux processus de définition de « l’intérieur » et de « l’extérieur » dans l’identification du territoire, du Cambodge pour commencer, mais également, à chaque moment, du domaine universitaire qui voit ce qu’on appelle dans le monde anglophone la theory (chose éminemment occidentale) comme extérieure à son objet d’étude (asiatique).

 

Voilà quelques mots pour dire d’où je viens. Maintenant, un petit mot sur la direction dans laquelle je souhaite aller avec cette étude, au delà de ce que je vais pouvoir atteindre ici. Je cherche à explorer quelques-unes des implications théoriques pour les Area Studies aujourd’hui d’un « postcolonial » derridien dont je viens  d’esquisser quelques traits et qui se nomme ailleurs la démocratie à venir. Une démocratie ouverte inconditionnellement à l’autre, dont la conception même dépend d’un accueil de l’inconnu, sans que celui-ci ou celle-là ne soit réduit ni au connu ni au connaissable, par exemple dans une espèce de fraternité. Cette démocratie serait un après du colonial dans la mesure où elle inverserait les termes du système tout en déplaçant celui-ci, où donc l’hospitalité serait une autre réalisation du potentiel colonial. En effet, dans le contexte d’une déconstruction de la souveraineté au sein de la tradition démocratique, mais au nom d’une démocratie à venir, Derrida insiste sur la nécessité d’étudier des traditions autres que l’indigène gréco-chrétienne – et de les étudier, d’une certaine façon, de l’intérieur (Derrida 2003 : 55-7).

 

A l’horizon de ces considérations, il y a pour moi une réflexion sur l’État bouddhique. Il faut entendre l’oxymore de cette expression. Dans la mesure où il n’est pas sûr qu’un tel État puisse exister, la formulation doit être comprise comme un appel ou un idéal messianique plutôt qu’une description ontologique. Car cette religion-là, si c’en est une, tend vers une déconstruction radicale de la souveraineté. C’est par le biais de moult pratiques que l’individu, comme le Bouddha « lui-même », doit chercher à atteindre le « non-soi ». Ainsi peut-on comprendre la conception du soi en tant que non-soi. Le premier pas que fit le Bouddha vers l’état d’Éveil fut de rejeter son statut princier ; la divinité du Bouddha est depuis toujours sujet de débat au sein des traditions bouddhiques. Dans cette perspective, l’État bouddhique serait l’expression d’une impossible souveraineté. Il est toujours, au mieux, un État à venir. La présente étude représente donc un petit pas le long d’une route sinueuse menant à la question des États bouddhiques contemporains qui se mettent en chemin vers la démocratie, et du  processus complexe de traduction politique et rhétorique par lequel ceux-ci rattachent leurs origines démocratiques à une religion, si c’en est une, dont les origines se situent en dehors de la tradition européenne.

 

 

L’Histoire (post-) angkorienne

L’empire angkorien se constitue, au début du IXe siècle, à partir d’une mise en abyme de sa propre origine où se conjuguent l’exogène et l’indigène dans un effort, perpétuellement renouvelé car voué à l’échec, pour établir l’antériorité du dernier (l’indigène) et la prédominance de l’autre (l’exogène). L’empire se signale d’une part par un bilinguisme épigraphique où le sanskrit, langue dite cosmopolite, écrite en vers, et véhiculant les idéologies politico-religieuses hindoues, se conjugue avec le khmer, langue vernaculaire par excellence car transmettant, en prose, les noms d’esclaves et définissant des territoires auxquels ceux-ci sont rattachés ; d’autre part, par une construction plastique et architecturale en pierre, dont l’ensemble iconographique liṅga-yoni (sculpture phallique shivaïte et son piédestal féminin) est l’emblème (Figure 1).

 

Les identifications sont mobiles. L’ensemble liṅga-yoni est tout d’abord associé à la culture sanskrite, mais au sein de celle-ci le yoni-piédestal représente, en quelque sorte, la Grande Terre dont dépend l’avoir lieu du liṅga, sur laquelle il se détache alors que celui-ci est associé ainsi au territoire défini, délimité du royaume. Mais cela va plus loin encore, car le liṅga colonise le yoni, de sorte que les limites du royaume sont identifiées à l’expansion sans limites du yoni-Grande-Terre : c’est une certaine définition de l’empire selon le modèle du mandala indien.6 Dans ce contexte et en ne perdant pas de vue la thématique postcoloniale, permettez-moi de rappeler le travail de G. Spivak sur la sémantique du terme yoni dans son étude sur l’immolation rituelle des veuves hindoues : le yoni est le sexe féminin et la maison, la demeure, le lieu d’habitation, le dwelling place où la veuve rentre pour s’immoler par fidélité au mari défunt (Spivak 1999: 302).

C’est une inscription bilingue sanskrit-khmer du XIe siècle qui reconstruit l’essentiel de l’histoire de la fondation de l’empire deux siècles auparavant.  On y apprend, depuis les recherches - notamment épigraphiques - menées par des chercheurs français à l’époque coloniale, que le futur roi, fondateur de l’empire khmer, lui-même d’origine khmère mais exilé dans une contrée lointaine, revint au pays natal pour (r)établir la souveraineté du pays khmer devenu vassal d’un pouvoir voisin.7 Les victoires du fils du pays furent consacrées par l’accomplissement d’un rite définissant le territoire regagné qui deviendrait, par son inscription dans l’histoire, l’empire angkorien. Un brahmane venu de l’Inde accomplit le rite selon une série de textes sanskrits et transmet son enseignement au maître de rituel indigène au service du roi. Il s’agit de l’établissement rituel de ce qui est nommé en sanskrit le devarāja, généralement traduit en tant que « dieu-roi »,  et en khmer le kamrateṅ jagat ta rāj, expression traduite comme « maître de l’univers qui est le roi », ou bien « dieu du roi ». L’identification spécifique de cette divinité cadastrale est encore débattue par les spécialistes : est-ce qu’il s’agissait, concrètement, de la vénération d’un liṅga, du feu sacré ou d’un autre icône ? Quoi qu’il en soit, c’est le liṅga-yoni qui deviendra la réalisation plastique par excellence de l’union de l’idéologie hindoue avec la terre khmère rendue autrement par l’épigraphie bilingue et dont l’empire angkorien sera, selon un récit certes performatif, le fruit.

A la chute d’Angkor, capitale d’un empire en déroute, au XVe siècle, on ne compose plus en sanskrit, on ne construit plus en pierre. Naît alors une littérature vernaculaire, écrite en vers, qui se propose en remplacement non seulement de la composition en sanskrit, mais encore de la construction plastique de l’époque ancienne. Si cette littérature élabore une (re)conception territoriale dans le cadre d’une nouvelle religion exogène, le bouddhisme theravadin, la langue véhiculaire de ce dernier (le pali) ne s’imposera point comme constitutive et gardienne de l’État khmer comme le fut le sanskrit à l’époque Angkorienne. De même, le Bouddha qui prend la place du dieu hindou au sommet de la représentation de l’État incarne une sorte d’ambivalence vis-à-vis du pouvoir étatique, ambivalence qui se manifeste ici et là par une certaine ambiguïté sexuelle. Cependant, notons que la femme apparaît encore, cette fois-ci littéralement, anthropomorphiquement, dans le piédestal de la sculpture de l’homme-dieu. Dès lors, c’est la Déesse de la Terre qui figure sur le piédestal du Bouddha lorsque celui-ci, dans un épisode célèbre de la vie du Maître, établit définitivement son droit au trône universel en vainquant l’incarnation du Mal.

 

L’histoire de ce qui advient après la chute de l’empire angkorien, l’histoire de cette histoire, et son historiographie, ont été reconstituées et écrites, construites, traumatisme sur traumatisme, à l’articulation entre l’époque coloniale proprement dite et celle qui la suit, jusqu’à aujourd’hui. L’histoire de la période angkorienne fut "établie" par les chercheurs de l’État colonial au gré des découvertes architecturales et épigraphiques et selon un scénario bien connu : ce pays tombé dans une déchéance abyssale après un âge d’or glorieux fut sauvé par l’arrivée du Protecteur ; et dans cette mise en scène, l’époque post-angkorienne, effacée mais gardée comme telle, jouait un rôle-clé. Après l’Indépendance, un groupe de chercheurs de la diaspora cambodgienne en France émergea, avec à sa tête une chercheuse déterminée, qui, rejetant l’appellation « post-angkorienne », lutta pour la reconnaissance d’une continuité historique à l’époque « moyenne ». L’intégrité de l’État, indissociable du souvenir d’Angkor, fut démontrée au gré des recherches linguistiques : études étymologiques, traductions, éditions critiques qui témoigneront de l’existence d’un véritable corpus littéraire caractérisé notamment par une langue spécifique. La langue « khmère moyenne » puise ses racines dans le khmer ancien, certes, mais, en se développant morphologiquement et en s’affinant sémantiquement, elle manifeste une autonomie qui reflète, autant qu’elle le constitue, l’État du Cambodge « moyen ».

Si la littérature vernaculaire khmère paraît être née en douceur, sans revendications politico-linguistiques explicites, (à l’opposé de ce qu’on peut voir à la même époque en « Inde » même), sa découverte à l’époque postcoloniale fait rage. Ce souvenir du souvenir (de la perte) d’Angkor relève alors du grief, comme aime l’entendre Jacques Derrida en deux langues à la fois, la souffrance sans accusation en anglais trouvant son écho dans la plainte de l’acception française du mot. C’est une rage (ré)appropriatrice toujours vive, qui a toutes les raisons d’être, mais qui fait de la peine.

La perte de la terre natale comme perte de la souveraineté est ainsi chaque fois inscrite à l’inauguration d’une nouvelle époque historique. Il importe peu que ce soit une perte réelle ou fantasmatique, fictionnelle ou fabuleuse, une perte effective ou non, établie, étayée par un travail historico-scientifique ou non, une perte éprouvée, ressentie ou redoutée. Cela s’appelle castration, bien entendu, sous d’autres cieux ; je ne prendrai pas le temps de faire le lien ici, mais ce que je suis en train de raconter de la terre et du terroir ou du territoire, d’une sorte de dialectique sexuellement chargée entre la perte et la retrouvaille ou la reconstruction, la rupture et la continuité, l’érection ou la délimitation d’une figure qui se détache sur un fond proprement infini – ce que je raconte ainsi appelle une longue et méticuleuse traduction, en vérité un transfert, en pays analytique.

L’époque angkorienne se construit sur les fondations d’un roi revenu d’exil pour réclamer sa terre natale ; l’époque moyenne se construit sur les fondations de la perte d’Angkor, cet empire qui fut le fruit, ne l’oublions pas, d’une sorte de colonisation culturelle.  Exilés du pays en guerre dans le sillage de l’Indépendance, les chercheurs postcoloniaux de la diaspora réinvestissent la terre natale dans la langue – la langue khmère, mais à laquelle le français donne, péniblement, accès. Il n’y a dans cette mise en abyme historique rien de neuf, bien évidemment. Perdu, c’est-à-dire colonisé à l’origine, le vernaculaire, toujours conçu comme propriété naturelle, fait l’objet d'une réappropriation. Je ne peux que traquer les modalités spécifiques de la récupération de la perte dans et par la littérature vernaculaire khmère, littérature qui n’existait pas, donc, avant cette récupération elle-même, à l’époque moyenne. J’exposerai brièvement plusieurs exemples où l’on verra, dans le contexte de l’État bouddhique du Cambodge après Angkor, que la langue donnera lieu – permettez-moi de le rappeler - à une articulation entre l’universalité transcendantale et la singularité vernaculaire-idiomatique.

Toutefois, j’ai le projet d’apporter quelques nouveautés à l’historiographie du Cambodge. D’un côté, aller en amont des spécificités historiques ne peut que révéler la répétition à l’origine de chaque formulation apparemment nouvelle de l’État. Ainsi, je cherche à démonter ou démentir la lecture classique d’une rupture politico-culturelle irrévocable entre les époques angkorienne et post-angkorienne. La lecture classique en question oppose l’expression politico-culturelle de l’époque angkorienne, caractérisée par sa rigidité et sa qualité hiératique, à une véritable douceur theravadine quasiment maternelle : on parle d’un retrait du pouvoir étatique hautement centralisé et colonisateur qui aurait laissé la place au peuple, d’une manifestation culturelle indigène qui se fait progressivement entendre dans sa propre langue. Je parlerai plutôt de la réinstallation d’un régime phallocratique. Cependant, contester ainsi le paradigme de la rupture ne revient pas  simplement à faire écho à la nécessité, souvent exprimée dans les études menées dans la période postcoloniale, de reconnaître la continuité entre les deux époques historiques. Car privilégier la répétition, plutôt que  la continuité, oblige à insister sur la rupture : la rupture originelle, qui est l’origine de l’opération phallocratique de récupération.

Cela ne revient pas non plus à dire que c’est tout simplement la même chose, que l’époque angkorienne équivaut à l’époque post-angkorienne. La répétition implique aussi le déplacement. D’où la nécessité de retenir une certaine linéarité de l’histoire, tout en en faisant une critique radicale. Si à l’origine il y a toujours déjà récupération de l’origine, il y a, en même temps, surdétermination historique. Il y a, à l’époque post-angkorienne, une sorte de commémoration active, pas seulement d’un empire, d’une époque, d’un roi, d’un dieu, d’un temple, mais d’un acte de fondation qui, en soi, fonde de nouveau l’État. Ainsi ma lecture se différencie-t-elle d’une certaine critique de la lecture classique évoquée ci-avant, qui voit dans le complexe post-angkorien theravadin la même projection mégalomaniaque du dieu-roi qui caractérise Angkor. C’est tout de même autre chose : quand le bilinguisme se voit remplacé par un monolinguisme où les mots sanskrits seraient intégrés, comme des conquêtes lexicales ou sémantiques, à la seule langue de composition, le khmer ; quand la construction architecturale et plastique en pierre prend fin subitement ; quand le Bouddha prend la place du liṅga, ou peut-être plus précisément, quand le Bouddha prend toute la place de l’ensemble liṅga-yoni en tant que tel.8

 

 

A l’origine du Bouddhisme, origine commémorée d’une manière ou d’une autre à l’aube de l’époque post-angkorienne, il y eut un rejet des structures hégémoniques et hiérarchiques du Brahmanisme. En conclusion du Cakkavattisihanādasutta, le sutra du cakravartin, celui qui « tourne la roue », titre du roi bouddhique idéal le plus souvent traduit comme « empereur universel », le Bouddha dit à ses disciples :

 

Errez, moines, dans votre propre aire, votre propre territoire ancestral. Quand vous errerez dans votre propre aire, votre propre territoire ancestral, vous gagnerez en longueur de vie, beauté, richesses et force. (Thanissaro Bhikku 2002)9

 

 

Le Bouddha poursuit avec une série de questions onto-théologiques : Qu’est-ce que la beauté, le plaisir, la richesse et la puissance pour un moine ? Et la machine dialectique de répondre : la beauté est intérieure, le plaisir est l’obtention d’un état où l’on ne ressent rien, la richesse c’est être comblé par la pratique abondante du don (de soi, ou de la bonne volonté), la puissance est le détachement absolu (de toute formation mentale). Jusque là, on ne voit rien qui ne ressemble pas, du  point de vue de la déconstruction, à une inversion des polarités, au renversement des rapports hiérarchiques d’une série d’oppositions binaires. Et sans « déplacement »10 aucun. Cela revient à garder les termes et les attributs de la structure oppositionnelle et à changer simplement de place les éléments à l’intérieur de cette structure : le bas sera désormais en haut, le pauvre riche, etc. Le pouvoir sera désormais aux mains des plus démunis, ceux qui, habillés de chiffons récupérés sur des cadavres, sans domicile fixe, errent de village en village pour mendier de quoi manger chaque jour. On redéfinit l’hégémonie certes, mais on ne la déconstruit pas.

Les limites de la révolution égalitaire supposée du Bouddhisme, comme celle de certaines études dites subalternes, se situent là dans les limites d’un discours qui transforme tout, sauf la dure loi hégémonique. Et comme toujours, comme partout, cette opération se définit en termes de différence sexuelle. La femme incarne le désir - désirant, elle est l’objet du désir que le Bouddhiste cherche à neutraliser. La communauté bouddhique se constitue, à son origine et de manière répétée tout le long de son histoire, à partir de l’abandon de femmes. Et c’est en questionnant la règle d’exclusion des femmes de la communauté qu’on teste, originairement dans le canon, les limites réelles de la révolution bouddhique. C’est la mère du Bouddha qui fait pression sur son fils pour qu’il infléchisse cette loi ; elle se fait rejeter à maintes reprises. Elle fait des centaines de kilomètres pieds nus pour se jeter, affamée et sale, au pied de la porte du monastère ; refusant de repartir, elle a finalement gain de cause, mais l’intégration des femmes est l’occasion d’établir toute une série de nouvelles règles leur assurant une position inférieure et marginale au sein de la communauté. Cette intégration ambiguë et réglementée n’a duré elle-même que peu de temps. On ne connaît pas les mécanismes exacts de la régression, mais à un moment donné dans l’histoire du Bouddhisme, la femme s’est trouvée de nouveau dehors. Ainsi les moines errent-ils, dans leur propre aire, leur propre territoire ancestral. Cette inscription du territoire propre – celui du Bouddhisme comme celui de l’homme –, cette délimitation de la communauté ne peut se faire qu’en s’opposant à la femme.

Cette lecture est, certes, réductrice. Il faudrait en même temps signaler la complexité d’une tradition qui ne cesse de promouvoir un respect sans égal, par exemple, pour la mère – du Bouddha pour commencer, mais aussi, par transposition, du moine, et finalement de la Mère en général. Or, on ne manquera pas de remarquer qu’une telle ambivalence vis-à-vis de la femme n’est pas réservée à la seule religion bouddhique, et n’empêche en rien la prédominance d’une misogynie conceptuelle et pratique à l’oeuvre au sein de la Religion – quand ce n’est pas l’idéalisation de la Mère qui rend possible la démonisation même de celle-ci, les deux pôles ne fonctionnant qu’en dialectique.

Voilà, dessinée trop vite et à trop grands traits, de quelle façon je propose d’apercevoir les limites de la promesse subalterne de l’époque moyenne. Après Angkor, on aurait pu penser voir l’hétérogénéité pure et simple de l’espace décolonisé (Spivak 1999: 310), l’émergence de la voix du peuple, femmes et hommes, dans l’expression vernaculaire soutenue, voire inspirée par le bouddhisme theravadin. Mais l’espace ne fut jamais sans inscription, c’est-à-dire décolonisé, et l’inscription fut toujours déjà phallocratique. Si la langue vernaculaire se montrait elle-même colonisatrice, c’est la femme qui était l’exclue par excellence, ou alors l’incluse comme exclue. Ainsi, la femme était la condition de possibilité de la délimitation du territoire.

 

« Naissances » de la littérature, Renaissance de l’État

Les modalités d’expression de cette opération historique dans et par la langue khmère furent diverses. Par la suite, je ne ferai qu’une traversée rapide et plutôt thématique de la question.

L’un des textes fondateurs de la littérature vernaculaire comme de l’État après Angkor s’intitule Lpoek Nokor Vat. Le titre peut se traduire par Le Poème d’Angkor Vat ou bien l’Édification d’Angkor Vat, ou tout simplement Le Temple d’Angkor Vat. Ce récit en vers, qui retrace la construction légendaire du temple d’Angkor Vat et raconte les histoires représentées dans ses bas-reliefs, notamment le Ramayana, participe à une reconstruction en langue khmère du temple de pierre. On y apprend que l’architecte divin reçut du Dieu Indra l’ordre d’édifier ce palais terrestre, réplique de son propre palais céleste, pour son fils né d’une union avec une femme humaine et dont ses collaborateurs divins ne supportaient pas, aux cieux, l’odeur – humaine, donc. Temple-montagne vishnuïte, siège symbolique de l’État au XIIe siècle, Angkor Vat sera réinvesti par la monarchie au XVIe siècle, pour être restauré et transformé en lieu de culte bouddhique national avant la lettre. Ce sont les textes khmers inscrits à même les pierres du temple qui nous transmettent, d’une manière performative donc, cette histoire de la recomposition du temple.11 Angkor Vat, symbole de l’État khmer par excellence de façon ininterrompue depuis l’époque moyenne au moins, figurera sur les pièces de monnaie et le drapeau national à partir du XIXe siècle. Lpoek Nokor Vat (le temple sublimé en composition littéraire) fut publié en khmer, avec une traduction sommaire en français, en 1878. Une partie du texte figura dans les manuels littéraires pour l’école primaire khmère en 1942. Le texte fut l’objet d’études diverses par les chercheurs dits « nationaux » à l’époque postcoloniale. La version la plus connue de nos jours est celle publiée par l’Institut Bouddhique en 1973 (Khing Hoc Dy 1985 : Préface).

La mise en scène de sa propre construction, qui fonde la littérature en langue khmère en réclamant sa propre ancienneté, est exemplaire de quasiment tous les écrits de cette époque. Voici quelques vers de conclusion du Lpoek Nokor Vat :

Cet ancien poème [lpoek], d’il y a tant de règnes, fut ré-écrit [taeṅ ta] du sein d’Angkor Vat, qui fut construit [lek] par les mérites du roi...

 

ou bien, traduction alternative :

 

Cet ancien poème fut réécrit d’un règne à l’autre au sein d’Angkor Vat, composé par les mérites du roi...12.

 

Relevons à titre comparatif ces vers auto-descriptifs des cpāp’, textes didactiques composés aussi à l’époque moyenne :

Retenez donc ces paroles anciennes / pour toujours, comme leçons / Paroles anciennes des sages de l’antiquité / sur lesquelles il faut réfléchir.

Ces paroles sont des prescriptions / à conserver comme une loi précise.

(Bāky Cās’, st. 27-8; Pou 1988 I : 27 , II : 195-7)

 

et:

 

Ce discours, je l’ai composé / de mon mieux d’après les sages. / Que mes descendants ne disent point / que je l’ai fait de mon propre chef.

(Satrā Ktām, st. 35 ; Pou 1988 I : 62,  II : 299)

 

ou encore :

 

Ce cpāp’qui émane des paroles du Seigneur (le Bouddha)...

(Dūnmān khluon, st. 47 ; Pou 1988 I : 68 ; II : 325).

 

 

La particularité de Lpoek Angkor Vat veut que le vernaculaire, ce fantasme de la propriété naturelle, de ce qui a toujours déjà existé, signifie à la fois texte et temple.

Dans ce contexte, on ne s’étonnera pas de voir le Reamker, La Gloire de Rama, version khmère de l’épopée monumentale indienne, le Ramayana, figurer parmi les premières compositions vernaculaires de l’époque moyenne.13 Traduction de la normativité par excellence, c’est l’histoire de Rama, avatar du Bouddha dans cette reprise khmère, et de son épouse Sita, dont le nom porte la trace de sa naissance dans le sillon sacré du roi. Rama est le dieu-roi-homme modèle. On connaît bien ses vices – lâcheté et jalousie, mais celles-ci ne font qu’accroître sa gloire. Accusant sa femme d’infidélité à la suite de l’enlèvement de cette dernière par le roi des démons, Rama exige qu’elle prouve la véracité de ses proclamations d’innocence en subissant l’ordalie du feu. Rentrant sereinement dans le feu pour s’immoler, Sita en sort indemne, épouse modèle, qui finira par quitter son époux-le-roi en retournant vivante au sein de la terre.

Les cpāp’, textes explicitement normatifs et qui constituent un genre en soi, ont leurs racines dans l’époque moyenne, tout en se réclamant d’une ancienneté immémoriale, tel qu'en témoignent les quelques vers précédemment cités. On peut dire, en effet, que leurs racines sont dans cette double appartenance à une époque qui s’invente en inventant littéralement son ancienneté.  Le  terme cpāp’, qui d'une façon plus générale signifie « loi », est souvent traduit, en référence au genre littéraire, par « code de conduite ». Ces codes sont adressés à divers groupes de la société : les filles, les garçons, les bonzes, les mandarins... Dans un contexte postcolonial et nationaliste, ils sont considérés comme l’expression par excellence de la société khmère, n'articulant pas seulement la spécificité khmère, mais plus précisément la société khmère comme incarnation d'une communication idéale entre spécificité et universalité. Ainsi, tout en établissant, par de méticuleuses études linguistiques, les cpāp’ comme l’un des principaux fonds de la littérature vernaculaire, Saveros Pou note : « Il faut rappeler que ce genre n’est pas une création khmère. Il relève de la sagesse universelle» (1977b : 22). De par leur composition linguistique, les cpāp’ cherchent en effet constamment à rétablir l’harmonie entre micro- et macrocosmes. La maîtrise de l’individu est irrévocablement liée à la maîtrise du pays, le tout dans un cadre theravadin où l’Impermanence et le Non-soi sont évoqués en permanence. Ces vers d’ouverture d’un cpāp’ adressé au fils du roi donnent une indication des conceptions à l’oeuvre :

Las ! Une épée royale sans fourreau / dans un royaume sans mantri (mandarin), / un roi sans connaissance des traités, / une femme sans époux (cpāp Vidhūrapaṇḍit, st. 1 ; Pou 1988 I : 131 ; II : 491)

 

Mes commentaires se limiteront ici au Cpāp’ Srī, ou Code de conduite des filles. Les diverses versions du Cpāp’ Srī qui nous sont parvenues sont attribuées, selon des critères linguistiques, à la « basse époque moyenne » débutant vers le XVIIIe siècle (Pou 1977b : 18-30 ; Pou 1981 : 456-457). S. Pou suggère que le Cpāp’ Srī, dans son contenu sémantique et dans la prolifération de ses compositions témoignerait d’un mouvement conservateur, voire réactionnaire, traduisant une véritable déroute politique et sociale à ce moment historique. Or, sans nier la pertinence de cette lecture, il me semble important de signaler que les éléments servant de base à l’opération phallocratique de la « basse époque moyenne » se rassemblent déjà à la chute d’Angkor, c’est-à dire à la période nommée  la « haute époque moyenne » – et encore.

En effet, à l’instar de toute une série de cpāp’, le Cpāp’ Srī est construit à partir du Vidhūrapaṇḍitajātaka (Cowell et Rouse 1969 (1907), VI : 126-156) C’est un jātaka , histoire canonique d’une vie antérieure du Bouddha, où celui-ci s’incarne dans le personnage de Vidhūra, un mandarin haut serviteur du roi, renommé pour sa sagesse et son éloquence. L’histoire veut que la reine des naga, serpents mythiques du royaume souterrain, souhaite vivement écouter le pundit Vidhūra. Elle feint de tomber malade, pour réclamer le coeur de celui-ci comme remède. « Il y a chez les femmes une affection -, dit-elle à son époux, on l’appelle le désir (…) je désire qu’on m’amène le cœur de Vidhūra (…) Si je ne l’obtiens pas, je mourrai » (Cowell et Rouse 1969 : 130)14. Aveugle au fait que le vrai désir de la reine est d’écouter la loi prêchée par Vidhūra, le roi « suggère des pensées indécentes à sa fille : ‘Cherche-toi un mari qui nous amènera Vidhūra’. » Au  commandement du père, la fille « sortit dans la nuit et donna libre course à son désir passionné » (Cowell et Rouse 1969 : 131)15. C’est un puissant yakkha – espèce d’homme-démon – qui, de passage dans le royaume, répond aux chants de la fille, et à qui le père propose un marché démoniaque : la fille sera échangée contre le cœur tant désiré par la mère. Lorsque le yakkha obtient par ruse que Vidhūra l’accompagne au royaume des naga, ce dernier demande d’adresser à ses « mille fils » une leçon sur le comportement d’un ministre royal. C’est l’occasion pour la famille, le roi et tout le peuple de manifester leur désarroi et leurs craintes des conséquences catastrophiques qu’aura le départ de Vidhūra sur l’ordre du royaume. Vidhūra sera emporté, mais par la suite il vaincra ses ravisseurs par la justesse de ses paroles. Ce sont ces leçons qui font, ostensiblement du moins, la renommée de l’histoire, comme de Vidhūra lui-même. Tout finit bien, le jeune couple ramenant Vidhūra chez lui. Le désir démesuré de la femme, qui avait provoqué le désordre au sein du royaume, est finalement maîtrisé par la parole du maître. Au cœur de ce jātaka  on retrouve aussi les éléments du mythe le plus populaire de la fondation du pays khmer. Attesté depuis l’époque ancienne, le mythe en question raconte l’union d’une princesse naga indigène avec un homme venant d’un autre monde.

Le Cpāp’ Srī  fut écrit par un ancien bonze devenu petit dignitaire. L’auteur inverse le modèle du père-sage qui, en partant, dispense des conseils à ses fils pour s’approprier le personnage de la reine des naga dispensant des conseils à sa fille qui s’apprête à suivre son mari pour établir leur ménage sur terre. La reine-mère « conclut son discours d’un ton exaltant. Si une femme évite tous les mauvais comportements [détaillés dans le texte] pour ne suivre que la bonne voie [en servant son mari], elle obtiendra la récompense suprême, celle de renaître comme ‘mère d’un Bouddha’ » (Pou 1988 : 408), femme dont on connaît bien le destin. Ainsi, le mythe le plus connu de la fondation du pays khmer, fondu dans un récit du canon bouddhique formulé autour du danger du désir de la part d’une femme comme du désir pour une femme, fonde lui-même la réglementation la plus stricte de la subordination de la femme à l’homme au nom du maintien de l’ordre domestique. Dans sa manifestation hyperbolique qu’est le Cpāp’ Srī, la construction littéraire monumentale qu’est le genre de cpāp’ tout entier, et qui témoigne d’une maîtrise historique de la langue vernaculaire, sert à réduire la femme au silence. On y lit :

- O ma fille, le « maître de la chambre » / est le maître de nos têtes : / jamais tu ne le mépriseras ! (st. 7 ; Pou 1988 I : 99, II : 411)

 

- Il arrive que le mari t’offense ; / ma fille, retire-toi alors vers / ta chambre pour réfléchir. // Lorsque tu en sortiras, tu prononceras de douces paroles / pour dissoudre cet outrage. (st. 79-80 ; Pou 1988 I : 105 ; II : 425)

 

- Si les propos du mari s’avèrent inconvenants, / il ne faut pas les divulguer / en les rapportant à ta mère. // Il y aurait du ressentiment croissant, / si les paroles de la mère / étaient susurrés par toi aux oreilles du mari ;// la discorde s’installerait, / il y aurait (des échanges) de mots, / et des questions infinies. // Plus de paix, les langues s’activeraient / dans des disputes croissantes, / accompagnés constamment d’impertinence. // Des échanges de paroles s’enfleraient, / s’étaleraient interminablement, / détruiraient la paix, // … (st. 54-8 ; Pou 1988 I : 103, II : 419-20).

 

 

 

Le destin de l’ensemble liṅga-yoni16

 

Je terminerai par une discussion un peu plus détaillée de la trajectoire post-angkorienne du liṅga – c’est-à-dire du liṅga et du yoni, du liṅga-avec-yoni, du liṅga sur ou dans le yoni, contre le yoni, du liṅga tout contre le yoni.

L’âme khmère

Il est probable que le terme khmer ‘pralung’ (en translittération : bralị), traduit généralement par « âme » ou « esprit vital » dans un contexte animiste, dérive d’un composé khmer-sanskrit : khmer braḥ (« sacré ») + sanskrit liṅga. Dans les inscrip­tions en vieux khmer, on ne trouve pas le terme pralung sous sa forme moderne. En vieux khmer, le terme liṅga désigne systématiquement la caractéristique détermi­nante du dieu Shiva, son phallus. Or, dans les textes en khmer moyen, le terme liṅga est graduellement remplacé dans ce sens par aṅga. A cette période, dans les textes, le terme braḥ liṅga semblerait désigner autre chose que le liṅga de Shiva. On peut supposer que le terme liṅga, qui en vieux khmer désignait uniquement la caractéristique dé­ter­minante de Shiva, a connu un glissement sémantique au cours du temps, pour désigner à la fin la caractéristique déterminante de tout être animé. Un terme indien profondé­ment inscrit dans des sys­tèmes religieux indiens aurait été ab­sorbé par un système religieux dit indi­gène, pour en constituer «  l'âme ». Certes, une telle étymologie hy­bride n’est pas rare dans l’évolution lin­guistique khmère, mais celle-ci est particulièrement symbolique : un nom qui désigne quelque chose comme l’identité d’un individu ou d’un groupe, fût-ce en son noyau constitutif, ne saurait se passer d’apport extérieur ; l’animation vitale de l’être ne peut faire l’économie, ici au moins, de l’autre. C’est une façon de lire cette colonisation culturelle en y voyant aussi une certaine production d’hospitalité.

Cette réflexion générale nous aide à comprendre le comportement des pralung khmers. Les pralung sont des entités multiples et indépendantes, qui ani­ment non seulement les êtres humains, mais aussi certains objets, plantes et animaux. La désertion du corps par les pralung est associée à la perte de la conscience et à la mort. Pourtant, les pralung sont aven­tureux et aptes à tout moment à quitter le corps, volontairement ou involontairement. La menace de corruption ou de perte est alors essentielle au rôle des pralung, qui se trouvent communément pris dans des mouve­ments entre l’intérieur du corps et le monde extérieur. Le contact avec ce dernier menace toujours l'intégrité des pralung. Elle doit pourtant impérativement être mainte­nue afin d’assurer l’intégrité du lieu habité par les pralung, qu’il s’agisse du corps de l’individu ou bien qu’il s’agisse, par une sorte de métonymie, de la communauté de rattachement de l’individu.

Ecoutons quelques strophes d’un poème d’inspiration animiste qui date de l’époque moyenne et qui se trouve, lui aussi, à l’origine de la littérature vernaculaire khmère : le Hau Pralung, ou le Rappel des âmes. C’est un texte récité lors des rites de guérison, par exemple. Ici, le narrateur - qui sera en fait l’officiant de la cérémonie chargé de réciter le texte - s'adresse aux pralung pour les inciter à revenir à la maison :

… Ô mes chers, les sentes des forêts sont terriblement difficiles, ta­pissées d’épines, de sous bois, et de hautes herbes. / Ô mes chers, il y a des tigres, des rhinocéros énormes et très féroces ; il y a aussi des éléphants et des lions reachasei, des tigres royaux et des panthères. / Les chats-tigres féroces y sont très nombreux ; il y a même des ours et toutes sortes de fauves méchants le long des fo­rêts et des montagnes. […] vous de­vriez réfléchir et revenir à votre demeure. / Ô mes précieux pralung, n’y allez pas, écoutez mes paroles. (st. 39-41, 44-5)

  Ô mes précieux pralung, n’y allez pas, revenez ici à notre foyer heureux et prospère. ... (49)

Regardez les matelas en soie et les tapis en laine, les cous­sins et oreillers en tissu. Revenez vous détendre à votre de­meure. (50)

 

Au moment où les pralung - étymologiquement, donc, les liṅga sacrés - se réinstallent au domicile, ils constituent en l'animant le domicile en tant que tel. Autrement dit, à la naissance de la littérature vernaculaire, voire en tant que naissance de la littérature vernaculaire, les paroles font apparaître les pralung, qui, en apparaissant, incorporent, assimilent le chez soi.

 

La Statue du Bouddha

            Le quasi-manque de représentation de la femme dans l’art post-Angkorien est frappant. La statuaire anthropomorphique de l’empire Angkorien comprenait une diversité de divinités féminines accompagnant les dieux pour rendre, d’une manière ou d’une autre, le principe de l’ensemble liṅga-yoni. Ces déesses, comme leurs dieux, étaient associées aux membres de la famille royale. Mais à l’époque post-Angkorienne cette diversité se voit remplacée par la représentation singulière du Bouddha. L’épigraphie ne fait mention que du Bouddha; les sculpteurs s’occupent de ce seul thème.17 Cependant, il faut dire que le Bouddha, intégrant, se réappropriant voire colonisant sa contrepartie féminine, ne se montre pas singulièrement masculin.

En rejetant la souveraineté pour accéder à un pouvoir d’autant plus transcendant, le jeune prince Siddhartha opère sur lui-même une sorte de transformation transgender. Débarrassé des attributs de pouvoir, le Bouddha peut en effet paraître plutôt féminin. C’est ce qui peut expliquer, en partie au moins, le modelé de certains Bouddhas post-Angkoriens, où une poitrine ample vient même parfois complémenter la délicatesse des traits (Figure 2).

L’attitude de ces images contraste nettement avec celles de la statuaire angkorienne représentant les dieux hindous, dont la rigidité hiératique trouve son expression emblématique dans le phallus en tumescence. Lorsque debout, le Bouddha est typiquement représenté les mains portées en avant, les bras retenus à même le corps, esquissant l’abhayamudra, geste qui signale au fidèle : n’ayez pas peur. Le retournement par rapport à l’art angkorien, où l’attitude du dieu sert plutôt à inspirer la crainte, est manifeste. (Figure 3).

Une opposition se dessine même vis-à-vis des Bouddhas mahâyâniques de l’époque angkorienne, dont l’attitude relativement raide rend un autre aspect de la discipline méditative bouddhique, beaucoup plus proche, donc, au principe du liṅga (Figure 4). ((#40))

La statue du Bouddha peut même être explicitement identifiée en tant que personnage féminin.18 Quelques témoignages plutôt modernes indiquent les contours sinon les sources précises de ce phénomène. Au XVIè siècle, tout probablement, les quatre portes d’entrée du sanctuaire central d’Angkor Vat furent bloquées avec de gros blocs de pierre sculptées de grands Bouddhas debout en geste d’assurance et d’apaisement (Figure 5). Une lecture de l’archive épigraphique du temple suggère que la sculpture des quatre Bouddhas des portes d’entrée du sanctuaire central faisaient partie d’une importante transformation du temple brahmanique en monument funéraire bouddhique – un stupa – renfermant les restes d’un roi défunt. Dans un texte inscrit sur une colonne précédant l’entrée occidentale du sanctuaire, la Reine-Mère proclame sa satisfaction devant l’oeuvre de restauration du temple accompli par le-nouveau-roi-son-fils, ainsi que son espoir dans la future prospérité de l’État khmer. Pour exprimer sa foi la Reine-Mère fait couper et brûler les cheveux,  pour en faire un enduit destiné à recouvrir les statues du Bouddha. Le texte se termine par son voeu de renaître en tant que Mahāpurusa, « Grand Homme, » lors de l’apparition sur terre du futur Bouddha Maitreya. Aujourd’hui, ou du moins jusqu’à une date très récente, les villageois d’Angkor vénéraient une des quatre images en question en tant que “Bouddha-Mère,” et une autre comme  “Bouddha-Père.” Ce sont pour eux des divinités protectrices du pays. Il s’agit, je pense, d’un souvenir des événements archivés à même la pierre du temple à l’époque post-Angkorienne, où une reine s’est mélangée avec le Bouddha pour orchestrer la perpétuité de la lignée royale comme de l’État (Thompson 2000a).

L’assimilation de la femme par le Bouddha au coeur du pouvoir de l’État se fait encore plus explicite dans les images de Neang Chek Neang Chum, “Dame Chek et Dame Chum” (Figure 6). Ce sont deux statues du Bouddha qui figurent parmi les images les plus populaires du Cambodge moderne. Considérées à la fois comme deux soeurs et deux Bouddhas, elles sont renommées pour avoir repoussé plus d’une fois des ennemis de l’État, protégeant son homme fort. Elles sont vénérées aujourd’hui dans un pavillon public situé devant la résidence royale d’Angkor.

            Mais il y a une mode d’assimilation - celle qui est sans doute la plus répandue - qui rappelle de manière frappante l’ensemble du liṅga-yoni  (Figures 7a-c).  Car c’est encore le piédestal qui donne le plus souvent corps au féminin; autrement dit, c’est encore le féminin qui représente la condition de possibilité de l’apparition de la figure masculine. Mais dans le complexe theravadin le féminin ne prend plus la forme abstraite du sexe dans lequel la statue phallique s’insère ; dès lors c’est l’image anthropomorphique de la Déesse de la Terre qui apparaît sur le piédestal du Bouddha assis en méditation au moment de la Défaite du Mal. Il s’agit d’un épisode célèbre de la vie du Bouddha que l’on trouve représenté souvent au centre de l’autel principal des pagodes du Cambodge contemporain. Le Maître est au seuil de l’Éveil lorsque Mara, l’incarnation du Mal, vient disputer le trône. Mara envoie ses trois filles, appelées Convoitise, Aversion et Tentation, pour le séduire. Impassible, le futur Bouddha poursuit sa méditation en faisant appel au témoignage de la Terre. Celle-ci apparaît en forme de femme tordant ses longs cheveux mouillés pour en faire un océan dans lequel se noie le Mal. Ainsi se confirme la souveraineté du Bouddha – l’impossible souveraineté de celui qui abandonna tout désir, pour le pouvoir comme pour la femme. C’est à mon sens l’articulation la plus courante au Cambodge encore aujourd’hui entre l’universalité transcendantale et la singularité vernaculaire.

 

 

Références citées

 

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— 2011. “Théories post-cosmopolitiques: différence sexuelle, vernacularisation et la fabrique de l’Asie du sud-est.” in Anne Berger et Eleni Varikas, éds., Genre et postcolonialismes : Dialogues transcontinentaux. Paris: Editions des archives contemporaines.

Notes

1NDR : traduit par l’auteur.
2NDR : traduit par l’auteur.
3Autrement que chez Spivak qui se défend contre les attaques attendues de la part des indianistes en réclamant une certaine autorité-sans-autorité sur l’Inde par accident de naissance. J’avoue que je m’interroge autant sur la réappropriation du lieu de naissance « propre » que sur l’appropriation d’un autre lieu comme domaine de recherche, et ainsi sur la part de l’accident dans toute naissance.
4NDR : traduit par l’auteur.
5Cf. “... une lecture oppositionnelle et différentielle de l’Autre chez Lacan pourra s’avérer plus pertinente à la condition coloniale que la lecture marxiste de la dialectique maître-esclave” (Bhabha 1994: 32, traduit par l'auteur). Sans doute a-t-il raison, mais il n’est pas sûr qu’une lecture exclue l’autre.
6Voir Thompson 2006a, où je tente de développer une analyse de l’ensemble liṅga-yoni à partir des travaux de Paul Mus, et en rapport avec Khôra de Derrida.
7Voir Cœdès et Dupont 1943-46; Chakravarti 1980; Kulke 1978; et Sak-Humphrey 2005.  Il n’est pas fortuit que l’un des débats herméneutiques autour de ce texte concerne l’identification exacte du lieu d’exil du futur roi en question. On cherche, en un mot, à établir s’il était bien hors du royaume ou quelque part dans ses régions limitrophes.
8Il faudrait donner ici toute sa place à la récupération des restes des temples et des statues brahmaniques dans les lieux de cultes theravadins, comme à celle des mythes brahmaniques dans la littérature et le rituel à partir de l’époque moyenne. Le corpus des écrits ethnographiques d’Ang Chouléan constitue une véritable base de données pour ce dernier domaine. Quelques-unes de mes propres publications ne font que débroussailler le chemin vers une compréhension des processus à l’oeuvre quant au premier. Voir Thompson 1998, 2000a-b, 2004.
9NDR : traduit par l’auteur.
10C’est le mot du Derrida des débuts : « La déconstruction ne peut se limiter ou passer immédiatement à une neutralisation : elle doit, par un double geste, une double science, une double écriture, pratiquer un renversement de l’opposition classique et un déplacement général du système »  (Derrida 1972b : 392).
11Ce corpus épigraphique a été traduit et étudié par Saveros (Lewitz) Pou, la linguiste mentionnée ci-avant, dans une série d’articles publiés dans le Bulletin de l’École Française d’Extrême-Orient à partir de 1970.
12Mes traductions, à partir du texte khmer publié par Khing Hoc Dy, 1985 (p. 112), qui est une reproduction du texte publié par l’Institut Bouddhique, 1973.
13L’édition critique du Reamker fut établie par S. Pou (1977 a et b et 1979).
14NDR : traduit par l’auteur.
15NDR : traduit par l’auteur.
16Ce passage, sur le terme pralung, reprend une partie de l’Introduction à l’édition critique du texte rituel, le Hau Pralung : Thompson 2005. Voir aussi Thompson 2006b.
17A titre d’exemple, voir l’inscription K. 754 de 1308, qui raconte l’érection d’une statue du Bouddha nommée d’après le roi selon la tradition angkorienne. Le titre de l’image, mahādeva, ajouté au nom du roi, est celui employé couramment pour désigner Shiva.
18Je ne connais pas d’exemple inverse, où une statue visiblement féminine serait identifiée en tant que personnage masculin.
1NDR : traduit par l’auteur.
2NDR : traduit par l’auteur.
3Autrement que chez Spivak qui se défend contre les attaques attendues de la part des indianistes en réclamant une certaine autorité-sans-autorité sur l’Inde par accident de naissance. J’avoue que je m’interroge autant sur la réappropriation du lieu de naissance « propre » que sur l’appropriation d’un autre lieu comme domaine de recherche, et ainsi sur la part de l’accident dans toute naissance.
4NDR : traduit par l’auteur.
5Cf. “... une lecture oppositionnelle et différentielle de l’Autre chez Lacan pourra s’avérer plus pertinente à la condition coloniale que la lecture marxiste de la dialectique maître-esclave” (Bhabha 1994: 32, traduit par l'auteur). Sans doute a-t-il raison, mais il n’est pas sûr qu’une lecture exclue l’autre.
6Voir Thompson 2006a, où je tente de développer une analyse de l’ensemble liṅga-yoni à partir des travaux de Paul Mus, et en rapport avec Khôra de Derrida.
7Voir Cœdès et Dupont 1943-46; Chakravarti 1980; Kulke 1978; et Sak-Humphrey 2005.  Il n’est pas fortuit que l’un des débats herméneutiques autour de ce texte concerne l’identification exacte du lieu d’exil du futur roi en question. On cherche, en un mot, à établir s’il était bien hors du royaume ou quelque part dans ses régions limitrophes.
8Il faudrait donner ici toute sa place à la récupération des restes des temples et des statues brahmaniques dans les lieux de cultes theravadins, comme à celle des mythes brahmaniques dans la littérature et le rituel à partir de l’époque moyenne. Le corpus des écrits ethnographiques d’Ang Chouléan constitue une véritable base de données pour ce dernier domaine. Quelques-unes de mes propres publications ne font que débroussailler le chemin vers une compréhension des processus à l’oeuvre quant au premier. Voir Thompson 1998, 2000a-b, 2004.
9NDR : traduit par l’auteur.
10C’est le mot du Derrida des débuts : « La déconstruction ne peut se limiter ou passer immédiatement à une neutralisation : elle doit, par un double geste, une double science, une double écriture, pratiquer un renversement de l’opposition classique et un déplacement général du système »  (Derrida 1972b : 392).
11Ce corpus épigraphique a été traduit et étudié par Saveros (Lewitz) Pou, la linguiste mentionnée ci-avant, dans une série d’articles publiés dans le Bulletin de l’École Française d’Extrême-Orient à partir de 1970.
12Mes traductions, à partir du texte khmer publié par Khing Hoc Dy, 1985 (p. 112), qui est une reproduction du texte publié par l’Institut Bouddhique, 1973.
13L’édition critique du Reamker fut établie par S. Pou (1977 a et b et 1979).
14NDR : traduit par l’auteur.
15NDR : traduit par l’auteur.
16Ce passage, sur le terme pralung, reprend une partie de l’Introduction à l’édition critique du texte rituel, le Hau Pralung : Thompson 2005. Voir aussi Thompson 2006b.
17A titre d’exemple, voir l’inscription K. 754 de 1308, qui raconte l’érection d’une statue du Bouddha nommée d’après le roi selon la tradition angkorienne. Le titre de l’image, mahādeva, ajouté au nom du roi, est celui employé couramment pour désigner Shiva.
18Je ne connais pas d’exemple inverse, où une statue visiblement féminine serait identifiée en tant que personnage masculin.