Qui compte?

Qui compte comme sujet de justice ? La communauté des citoyens, l’humanité toute entière ou la communauté transnationale du risque ?

Nancy FRASER


Qui doit être reconnu comme sujet de justice ? Dans des conflits sociaux, qui sont les personnes dont les intérêts et les besoins méritent la considération ? Quand il s’agit des luttes pour la redistribution économique, la reconnaissance culturelle, ou la représentation politique, qui précisément appartient à l’univers de ceux qui se doivent mutuellement justice?

Jusqu’à recémment, pendant la période de la Guerre froide, la question ne se posait pas vraiment, car les luttes pour la justice se déroulaient sur fond d’un cadre qui allait de soi. A cette époque, il allait généralement sans dire que la seule unité au sein de laquelle la justice s’appliquait était l’Etat territorial moderne. Cette conception “westphalienne” informait la majeure partie du discours de justice par delà des cultures politiques disparates, malgré les références faites aux droits humains, à l’internationale prolétaire et à la solidarité des pays du tiers-monde. Que la question posée relève d’un problème de redistribution, de reconnaissance ou de représentation, des différences de classes, des hiérarchies de statut ou des asymétries dans l’exercice légitime du pouvoir politique, la plupart des protagonistes présupposaient que la portée de la justice coïncidait avec les limites de leur communauté politique. Seuls les membres d’une telle communauté pouvaient se reconnaître mutuellement comme sujets de justice. Cela avait pour effet de limiter radicalement, voire d’exclure complètement les obligations de justice contraignantes qui traversaient les frontières. Par définition, ce cadre occultait donc les injustices transfrontalières.

Aujourd’hui cependant, la cartographie westphalienne de l’espace politique est en train de desserrer son étreinte. Sa conception du territoire comme seul fondement de l’assignation des obligations de justice est tout discutable, certains problèmes étant évidemment transnationaux comme le réchauffement climatique ou les OGM (Organismes Génétiquement Modifiés) ; ces problèmes incitent de nombreuses personnes à réfléchir en termes qui étendent les limites de la portée de la justice à tous ceux qui sont potentiellement affectés par ces risques. Il n’est par suite pas étonnant que les activistes qui contestent les inégalités transnationales rejettent l’idée que la justice ne peut être conçue qu’au sein d’un territoire, comme une relation domestique entre des concitoyens. En prenant comme postulats des conceptions post-westphaliennes du « qui compte », ils soumettent le cadre westphalien à une critique explicite.

Aujourd’hui, le “qui” de la justice fait ainsi l’objet de conflits. De fait, le « qui » westphalien est aujourd’hui remis en cause d’au moins trois points de vue : premièrement, par des localistes et des communalistes qui cherchent à limiter la portée du souci de justice à l’échelle d’unités infra-nationales, comme les Basques ou les peuples Inuits ; deuxièmement, par des régionalistes et des transnationalistes qui proposent d’identifier le « qui » de la justice à des unités plus grandes, quoique pas totalement universelles, comme l’« Europe » ou l’« Islam » ; et troisièmement, par des mondialistes et des partisans du cosmopolitisme, qui entendent qu’une considération égale soit accordée à tous les êtres humains. Il y a par conséquent quatre conceptions rivales du « qui » de la justice qui se heurtent l’une contre l’autre dans les conflits sociaux actuels: westphalienne, localiste-communaliste, transnationale-régionale, et mondialiste-cosmopolitique.

Dans cette situation, il n’est plus possible de théoriser la justice de la manière habituelle. A la différence des théoriciens de la période précédente, nous ne pouvons pas supposer que nous savons déjà qui il faut prendre en compte. Loin de pouvoir simplement présupposer un « qui » westphalien, nous devons poser explicitement la question de qui doit être pris en compte en tant que sujet de la justice. Nous devons nous poser la question suivante : étant donnée la violente opposition des conceptions rivales des limites de la justice, comment définir quels sont ceux dont les intérêts doivent être pris en compte ? Face à des définitions concurrentes du cadre des conflits sociaux, comment déterminer laquelle est juste ?

La clé du problème réside selon moi dans la prise en compte simultanée des aspects positifs et négatifs de cette situation. D’un côté, une approche viable doit soutenir l’extension de la contestation concernant le « qui », ce qui permet de penser, donc de critiquer les injustices transfrontalières occultées par le schéma westphalien. D’un autre côté, il faut tenir compte de la difficulté de résoudre les disputes dans lesquelles les protagonistes ont des conceptions incompatibles quant à qui doit être pris en compte. Quel type de théorie peut donner sa place à chacune de ces deux exigences ? Qui permet à la fois d’ouvrir l’espace de façon à accueillir de nouvelles revendications et d’offrir la clôture nécessaire pour les vérifier et les redresser? La réponse que je proposerai peut être résumée ainsi : une théorie adaptée à notre situation actuelle doit être à la fois réflexive et discriminante. Je vais développer dans cette conférence chacun des termes de cette proposition.

 

1. De la réflexivité comme critique méta-politique

 

Pour étayer l’extension de la contestation, la réflexion doit rester ouverte aux revendications selon lesquelles des questions de premier ordre de la justice (c'est-à-dire de distribution, de reconnaissance, ou de représentation) n’ont pas été traitées dans le cadre adéquat. Pour s’assurer de ce que les revendications reçoivent un traitement équitable, on doit supposer, dès le départ, qu’il est par principe possible que certaines manières de délimiter le « qui » de la justice soient en elles-mêmes injustes, par exemple parce qu’elles excluent à tort des personnes qui méritent d’être prises en compte. Une pensée de la justice doit donc être réflexive, c'est-à-dire capable de s’élever au niveau supérieur pour examiner le caractère juste (ou injuste) de cadres différents. Ce n’est que par la réflexivité que l’on peut accéder au niveau « méta » où le cadre lui-même est l’objet de disputes. Ce n’est qu’en devenant réflexive qu’une théorie peut se saisir de la question du « qui » comme d’une question de justice.

Le besoin de réflexivité devient particulièrement aigu quand nous avons affaire à de nouveaux types de revendication de justice, qui présupposent des cartographies non-hégémoniques de l’espace politique. Quand une théorie n’est pas capable d’examiner de manière réflexive les cadres établis, elle tend à  biaiser le problème en la défaveur de ceux qui tendent à remettre en cause les définitions westphaliennes du « qui ». Une pensée adaptée à notre situation doit s’efforcer d’éviter toute exclusion de nouvelles revendications. Pour étayer la contestation, elle doit devenir réflexive.

Comment produire la réflexivité nécessaire pour penser la justice aujourd’hui? La stratégie que je propose élargit la conception du “quoi” de la justice que j’ai développée antérieurement. Cette conception est désormais tridimensionnelle, incluant la redistribution économique, la reconnaissance légale-culturelle et la représentation politique, le tout englobé par le principe normatif de parité de participation. Plutôt que de reprendre l’ensemble de cette conception ici, je propose d’aller directement au point qui concerne particulièrement le problème dont nous nous occupons aujourd’hui. Pour clarifier les anormalités du « qui », je me concentrerai sur la dimension de la représentation. Je défendrai l’idée que cette dimension politique de la justice, si elle est bien comprise, peut induire la réflexivité nécessaire pour traiter des débats sur le « qui ».

Car la dimension politique s’applique à deux niveaux, que j’appellerai respectivement le niveau « politique ordinaire » et le niveau « métapolitique ». Normalement, les théoriens s’intéressent au niveau politique-ordinaire, qui se rapporte aux structures de la représentation au sein d’une communauté politique délimitée. Ici, par contre, je m’intéresserai plus particulièrement au niveau métapolitique, qui concerne la division entre les communautés politiques ainsi que la cartographie de l’espace politique plus vaste au sein duquel elles sont situées. Permettez-moi d’expliquer la différence entre ces deux niveaux.

Le niveau politique ordinaire est familier, on le comprend intuitivement. A ce niveau, la représentation est, pour une grande part, une fonction de la constitution interne d’une communauté politique, qui établit les règles fondamentales de l’exercice légitime du pouvoir. Le cas paradigmatique, du point de vue des sciences politiques dominantes, est celui des règles de décision électorales, qui détermine qui a voix au chapitre dans une communauté politique délimitée. De pair avec d’autres caractéristiques fondamentales de la constitution politique, de telles règles de décision définissent le terrain de la contestation légitime au sein de la communauté politique. Elles fixent les termes dans lesquels ceux qui sont inclus dans la communauté politique font connaître leurs revendications et règlent leurs disputes. Façonnant les termes dans lesquels les membres peuvent effectivement participer au débat public, la représentation politique ordinaire considère comme allant de soi les frontières externes de la communauté politique.

Les rapports de représentation politique ordinaire sont par principe des problèmes de justice. A ce niveau, les questions peuvent être : les rapports de représentation sont-ils justes ? Les règles de décision de la communauté politique donnent-elles une égalité d’accès à la participation aux délibérations publiques et permettent-elles une représentation équitable dans les prises de décision publiques ? Si la réponse est « non », nous avons affaire à ce que j’appelle des « injustices politiques ordinaires ». Ces injustices naissent au sein d’une communauté politique dont les frontières et les règles d’appartenances sont tenues pour établies. Les injustices de représentation politiques ordinaires se produisent donc quand les règles de décision dénient à des personnes qui sont en principe comptées comme membres la chance d’y participer pleinement en tant que pairs. Ce type d’injustices a donné lieu récemment aux demandes qui revendiquent la parité sur les listes aux élections, les droits multiculturels, l’autonomie de gouvernance pour des peuples indigènes, et l’autonomie régionale, ainsi que des demandes de réforme du système de financement des campagnes électorales, de redécoupage des circonscriptions, d’une représentation à la proportionnelle et en faveur d’un vote plural.

Ces questions, aussi importantes soient-elles, n’épuisent pas la dimension politique de la justice. Cette dimension a également cours dans ce que j’appelle le niveau métapolitique. Bien qu’il paraisse moins clair intuitivement, le méta-niveau relève de l’organisation de l’espace politique plus vaste au sein duquel s’inscrivent les communautés politiques délimitées dont nous nous occupions jusqu’ici. Ce qui est en question ici ce sont précisément les problèmes qui étaient tenus pour allant de soi au niveau précédent : à savoir, la définition des frontières et la délimitation de l’appartenance à la communauté. Le cœur des enjeux de la représentation est ainsi l’inclusion dans la communauté des personnes qui ont droit à se formuler mutuellement des revendications de justice ou leur exclusion. Si la représentation politique-ordinaire concerne l’allocation du droit à participer aux décisions politiques parmi les membres de la communauté, la représentation métapolitique concerne, quant à elle, la désignation antérieure de ceux qui sont initialement reconnus comme membres. Cela nous indique qui est inclus et qui est exclu du cercle de ceux qui ont droit à une juste distribution, à la reconnaissance réciproque et à des conditions équitables de représentation politique-ordinaire.

La représentation métapolitique est, autant que la représentation politique ordinaire, une question de justice. On peut poser les questions suivantes à ce niveau : les rapports de méta-représentation sont-ils injustes ? Les frontières de l’appartenance politique excluent-elles à tort certains de ceux qui auraient droit à avoir voix au chapitre dans les décisions politiques ? La division de l’espace politique en des communautés politiques distinctes prive-t-elle certains de la possibilité de s’engager en tant que pairs aux côtés des autres dans le traitement de problèmes d’intérêt commun ? Si la réponse à ces questions est « oui », nous avons affaire à ce que j’ai appelé une « injustice métapolitique ». Les injustices métapolitiques surviennent lorsque les frontières d’une communauté politique sont dessinées d’une manière qui exclut à tort certaines personnes de la possibilité de participer aux conflits autorisés sur la justice au sein de cette communauté. Dans ces cas-là, ceux qui sont définis comme non-membres sont exclus à tort de l’univers de ceux qui ont droit d’être pris en compte dans la communauté politique dans les questions de distribution, de reconnaissance, et de représentation politique ordinaire. Plus encore, l’injustice perdure même lorsque ceux qui sont exclus d’une communauté politique sont inclus en tant que sujets de la justice dans une autre, et cela tant que l’effet de la division politique conduit à mettre hors de leur portée des aspects de la justice qui les concerne. On peut donner comme exemple la manière dont le système international d’Etats souverains prétendument égaux fait du « charcutage électoral » aux dépens des pauvres des pays pauvres. Il en résulte une forme particulière d’injustice que je nomme en anglais « misframing » et en français « mécadrage ».

La notion de « mécadrage » est une idée réflexive. Située à un niveau métapolitique, elle nous permet d’examiner la construction des représentations politiques-ordinaires du point de vue de la justice. En prenant le niveau ordinaire comme objet d’analyse, le concept de mécadrage permet de se demander si une définition donnée du « qui » de la justice est vraiment juste. En nous permettant d’examiner le cadre de la justice de premier ordre, cette notion peut nous aider à faire l’analyse de disputes qui impliquent des conceptions conflictuelles du « qui ». Par conséquent, le concept de « mécadrage » possède exactement le type de réflexivité dont nous avons besoin dans le contexte actuel.

Bien que le terme lui-même soit nouveau, l’idée de mécadrage est présente dans les luttes actuelles autour de la mondialisation. Cette notion régit implicitement les revendications de nombreux « altermondialistes », même si, bien sûr, ils n’emploient pas le terme. Par exemple, de nombreux activistes du Forum social mondial affirment que le cadre westphalien est injuste dans la mesure où il divise l’espace politique d’une façon qui empêche les pauvres de pays pauvres de remettre en cause les forces qui les oppressent. En canalisant leurs revendications au sein des espaces politiques domestiques d’Etats relativement impuissants, quand ils ne sont pas complètement ratés, ce cadre protège les pouvoirs extraterritoriaux de toute critique et de tout contrôle. Parmi ceux qui sont ainsi mis hors de portée de la justice, on trouve des Etats prédateurs bien plus puissants et des pouvoirs privés transnationaux, dont des investisseurs et des créanciers étrangers, des spéculateurs internationaux, et des entreprises transnationales. On trouve également les structures de la gouvernance économique mondiale, qui définit les termes d’une interaction d’exploitation puis les exempte de tout contrôle démocratique. Enfin, le cadre westphalien se dérobe lui-même aux attaques, dans la mesure où l’architecture du système interétatique exclut les décisions démocratiques internationales sur des questions de justice. 

Toutes ces revendications sont d’ordre métapolitique. Fondé sur l’idée que les cadrages de premier ordre  de la justice peuvent eux-mêmes être injustes, le concept de « mécadrage » permet aux porteurs de revendications de poser la question du cadre comme un enjeu de justice. Par suite, ce concept fournit ainsi la réflexivité nécessaire pour analyser les disputes actuelles sur le « qui ».

La réflexivité n’est cependant pas en soi une solution. A partir du moment où nous admettons que des injustices de (mé)cadrage peuvent exister par principe, il nous faut des outils pour décider quand et où elles existent effectivement. Ainsi, une pensée de la justice adaptée à l’epoque actuelle requiert un principe normatif discriminant pour évaluer les cadres de la justice. En l’absence d’un tel principe, nous sommes incapables d’évaluer les différents cadres, et par suite de clarifier les disputes qui impliquent des conceptions conflictuelles du « qui ».

 

2. Une défense du principe de « tous les assujettis »

 

Cela m’amène au deuxième terme de ma proposition concernant le “qui”. Après avoir montré la nécessité de la réflexivité, je défendrai maintenant que la théorie doit être également discriminante – au sens où elle doit inclure un principe permettant d’évaluer des cadres concurrents.  Ce principe est nécessaire pour faire face au côté négatif de notre situation actuelle. Après avoir pris en compte le côté positif, en ouvrant un espace pour accueillir les nouvelles conceptions du “qui”, il me faut maintenant faire un sort au côté négatif, en imaginant la clôture provisoire nécessaire pour en juger.

A quoi pourrait ressembler un principe discriminant d’évaluation des cadres de justice ? Actuellement, il y a trois candidats principaux en lice. Examinons-les un par un.

La première proposition pour l’évaluation des cadres de justice est le principe d’appartenance à la communauté politique. Les tenants de cette approche proposent de résoudre les disputes concernant le « qui » en faisant appel au critère de l’appartenance politique. Selon eux, ce qui fait d’une somme d’individus des sujets qui se doivent mutuellement justice, c’est ainsi l’appartenance commune à une seule communauté politique. De leur point de vue, le « qui » de la justice devrait être ceux qui appartiennent à un même Etat comme concitoyens.

Il existe actuellement différentes variantes du principe d’appartenance politique, selon les différentes interprétations de ce que veut dire « appartenir à une communauté politique ». Selon l’une de ces interprétations, l’appartenance politique est (ou devrait être) une question de nationalité. Pour les partisans de cette approche, comme Michael Walzer et David Miller, la justice trouve des appuis plus fermes quand l’appartenance politique repose sur un éthos pré-politique partagé, une matrice commune faite de langage, d’histoire, de culture, de tradition ou de racines. Pour ces théoriciens, le « qui » de la justice est tout simplement la nation.

D’autres théoriciens de l’appartenance rejettent cette interprétation, car racialiste, historiquement fausse, et inadaptée au caractère plurilinguistique et multiculturel des Etats modernes. A leurs yeux, l’appartenance politique n’a pas besoin de reposer sur des traits communs pré-politiques. Il est plus pertinent de la concevoir entièrement comme une relation politique. Selon cette seconde interprétation, portée par Will Kymlicka et Thomas Nagel, entre autres, on appartient à la communauté politique simplement en vertu de la citoyenneté. La citoyenneté est en elle-même, indépendamment de l’identité nationale, suffisante pour établir la relation nécessaire pour avoir le statut de sujet de la justice. Le « qui » de la justice est alors tout simplement l’ensemble des citoyens1.

Les différences entre ces variantes importent moins ici pour mon propos que leurs points communs. Or, ce qu’elles partagent, c’est la conviction que c’est la condition de co-appartenance à la même communauté politique délimitée qui fait d’une somme d’individus des sujets qui se doivent mutuellement justice. De plus, cette communauté politique délimitée se révèle au final être un Etat westphalien. Pour les « nationalistes », toute nation viable ou « historique » devrait avoir un tel Etat ; pour les penseurs de la citoyenneté, l’appartenance signifie simplement avoir la citoyenneté d’un Etat de ce type. 

Pour tous ces penseurs, le raisonnement sous-jacent est plus ou moins le suivant : la justice est par définition un concept politique. Les obligations qui en découlent ne s’appliquent qu’à ceux qui sont dans une relation politique les uns avec les autres. La détermination du « qui » de la justice dépend ainsi de ce qui peut être tenu pour une relation politique proprement dite. La réponse est, pour les théoriciens de l’appartenance, la coappartenance à une communauté politique conçue sur le modèle westphalien. Thomas Nagel nous propose peut-être l’explication la plus développée de ce point. Ce qui fait une relation politique proprement dite, affirme-t-il, c’est la sujétion commune à une autorité politique qui exerce un pouvoir coercitif au nom de ses membres et dont les actes engagent forcément leur volonté. Les relations politiques émergent, par suite, en vertu de l’appartenance partagée à une unité délimitée territorialement et dotée d’un Etat souverain. Seules les relations entre les membres d’un tel ensemble peuvent être tenues pour des relations politiques au sens nécessaire pour que cela déclenche des obligations de justice. Les limites de la justice coïncident ainsi avec le cadre westphalien. Et le seul « qui » de la justice légitime est le « qui » westphalien. 

Que faire de cette approche ? La première remarque que l’on peut faire est que le principe d’appartenance fonde les obligations de justice dans une relation sociale spécifique. Rejetant l’idée que la justice peut contraindre des personnes qui n’ont aucun lien entre elles, cette approche insiste sur le fait que la justice ne s’applique qu’à ceux qui sont engagés les uns par rapport aux autres dans une relation sociale spécifique porteuse d’une certaine teneur morale : à savoir, une relation politique issue de l’appartenance commune à un Etat westphalien. Le principe d’appartenance a ainsi l’avantage d’exprimer un sens fort de la socialité humaine. Sans recourir à l’invocation abstraite de l’« humanité », il soutient que toute définition tenable du « qui » de la justice doit s’articuler avec la compréhension d’eux-mêmes  qu’ont ceux qui la constituent. De ce point de vue, les obligations de justice émergent des relations sociales.

De plus, le principe d’appartenance a l’avantage du réalisme. Sa définition du type de relations sociales moralement pertinentes s’accorde avec des aspects importants de la réalité institutionnelle existante et avec des identifications collectives largement admises. Il n’est pas ainsi un pur devoir, un pur « il faut » dépourvu de toute prise sur les engagements existants et les conceptions de soi existants. Cependant cette dernière force est aussi une faiblesse. En pratique, le principe d’appartenance sert également bien trop facilement à ratifier les nationalismes d’exclusion des privilégiés et des puissants, et donc à protéger les cadres établis de tout examen critique.

Mais ça n’est pas tout. Par définition, cette approche ne peut même pas entrevoir la possibilité que dans certains cas, le cadrage westphalien de la justice puisse être en soi injuste. Excluant de fait par avance la possibilité du mécadrage, elle est incapable d’accueillir équitablement les revendications qui pré-supposent des définitions du « qui » non-hégémoniques. Perdant la réflexivité nécessaire pour traiter ces revendications, le principe d’appartenance ne parvient pas à satisfaire les exigences d’une théorie actuelle de la justice. Ainsi, il ne constitue pas une option tenable dans la situation actuelle.

Pas étonnant, par suite, que de nombreux philosophes et activistes aient cherché une approche plus critique. Certains ont préféré ce que j’appellerai le principe humaniste. A la recherche d’un principe plus « inclusif », les partisans de cette seconde approche, par exemple Martha Nussbaum, proposent de résoudre les disputes sur le « qui » en prenant comme critère le statut de personne. Selon eux, ce qui fait d’une collection d’individus des sujets qui se doivent mutuellement justice est la possession commune de certains traits propres à l’humanité. Ce que sont ces traits exactement est, cependant, objet de débat, dans la mesure où les théoriciens humanistes s’opposent quant à la question de savoir s’il faut mettre en avant plutôt l’autonomie, la rationalité, l’utilisation du langage, la capacité à former et poursuivre une idée du bien, ou encore la vulnérabilité à la blessure morale, entre autres.   Heureusement, il n’est pas nécessaire de détailler ces débats ici. Plutôt que de définir précisément « l’humain », il faut souligner l’idée que ceux qui possèdent ce trait caractéristique font partie du même « qui » de la justice. Cette idée est partagée par tous les partisans de l’humanisme, en dépit de tout ce qui les oppose par ailleurs.

Que faire alors du principe humaniste comme moyen d’évaluation des disputes sur le « qui » ? La première chose que l’on peut remarquer est que cette approche nous fournit une perspective critique sur le nationalisme d’exclusion. Parce qu'elle délimite le cadre de justice sur la base du statut de personne, elle est capable de traiter des revendications qui présupposent des conceptions non-hégémoniques du sujet de la justice. On peut s’inquiéter cependant de ce que le principe humaniste n’est pas vraiment réflexif. Le problème est qu’il opère à un tel niveau d’abstraction que l’on est incapable d’identifier ce qui s’ensuit dans une configuration particulière. Déployé depuis une position dominante, ce principe accorde indistinctement un statut à chacun par rapport à tout. Adoptant le cadre « taille unique » de l’humanité toute entière, il exclut la possibilité que des questions différentes puissent nécessiter différents cadres ou différentes échelles de justice.

Le problème principal, je pense, provient du fait que le principe humaniste ne prend pas en compte les relations sociales actuelles ou historiques. Négligeant ces questions avec désinvolture, il est, à cet égard, l’antithèse du précédent. La théorie de l’appartenance cherchait à fonder les obligations de justice sur un type de relations sociales trop restrictif, mais celle-ci assigne ces obligations sans aucune considération de ces relations. Elle fait donc peu de cas des formes de vie qu’elle entend réguler et de la manière dont se comprennent eux-mêmes ceux sur lesquels elle prétend faire peser ces obligations. Issue de quelque perchoir élevé, loin au-dessus du monde des actions humaines réelles, l’insistance humaniste sur le fait que chacun compte dans toutes les questions tout le temps, indépendamment de ce qu’on fait ou pense, véhicule une  bouffée d’autoritarisme. En voulant constituer le « qui » de la justice sans considération pour ce qu’en pensent ceux qui en font partie, une telle proposition paraît négliger joyeusement l’autonomie de ses sujets.

L’abstraction hautaine de l’humanisme explique peut-être ses affinités historiques avec l’impérialisme. Il serait faux de postuler ici une relation de nécessité, mais il pourrait bien y avoir un lien souterrain entre cette « conception venue de nulle part » que cette approche suppose et le « quelque part » relativement puissant d’où elle provient généralement. Il ne s’agit pas d’affirmer ici que les défavorisés ne formulent pas parfois leurs revendications dans le langage d’une humanité commune. Mais comme Hannah Arendt l’a judicieusement remarqué, c’est alors typiquement le langage du dernier recours, celui que l’on adopte quand tous les autres ont échoué, c'est-à-dire dire l’expression de la faiblesse ou du manque d’autres titres plus solides sur lesquels s’appuyer. Selon son interprétation, faire appel à la justice au nom de l’humanité abstraite, c’est admettre implicitement que l’on a droit à peu de chose, sinon à rien, sur la base des relations actuelles avec les puissants et les privilégiés. Cela a pour effet, lorsqu’il s’agit d’une relation de prédation ou d’exploitation, d’occulter des faits essentiels sur le monde dans lequel les revendications de justice émergent. En ce sens, le principe humaniste peut sembler exprimer, voire ratifier, le point de vue des puissants et des privilégiés.

Dans tous les cas, le mondialisme « taille unique » de ce principe suffit à le disqualifier comme approche viable pour une théorie de la justice dans notre situation actuelle. Affirmer que ‘toutes les questions de justice concernent nécessairement tout le monde’ relève autant d’un a priori que de dire que ‘toutes les questions de justice sont nécessairement d’ordre national’. Dans les deux cas, le problème est toujours tranché par avance, ce qui implique l’abdication de la capacité à questionner de manière réflexive les cadres de justice. Pour des raisons équivalentes, quoiqu’opposées, ni le principe humaniste ni le principe d’appartenance ne permettent donc d’analyser les disputes qui impliquent des conceptions conflictuelles du « qui ». Aucun de ces deux principes ne permet de traiter adéquatement les problèmes qui caractérisent la période actuelle.

C’est pourquoi il est compréhensible que de nombreux philosophes et activistes rejettent à la fois ces deux principes. Cherchant à éviter des approches qui prétendent régler par avance toutes les questions, ils préfèrent un troisième principe selon lequel « tous ceux qui sont affectés sont des sujets de justice. » (Après, le principe de « tous les affectés ».) L’idée centrale est simple et se comprend intuitivement. Les partisans du principe de « tous les affectés » propose de résoudre les disputes sur le « qui » en se fondant sur les relations sociales d’interdépendance. Pour eux, ce qui fait d’un groupe de gens des sujets qui se doivent mutuellement justice, c’est leur co-intrication objective dans un réseau de relations causales.  Le « qui » de la justice est ainsi fonction de l’échelle des interactions sociales. Comme celle-ci varie d’un cas à l’autre, il en va de même pour le « qui ».

On peut également distinguer différentes variantes dans cette approche. Peter Singer en propose une version utilitariste-empiriste, tandis que Jürgen Habermas l’intègre dans son célèbre principe « D » de l’éthique de la discussion. Mais là encore, leurs différences importent moins que leurs points communs. Le point crucial de cette position c’est l’identification du « qui » de la justice à une « communauté de risque ». Ceux qui « comptent » sont ceux dont les actions ont des effets les uns sur les autres et s’affectent mutuellement.

Que penser de ce principe de « tous les affectés » comme norme pour évaluer des « qui » conflictuels ?
La première chose que l’on peut remarquer est que ce principe évite la stratégie humaniste qui consiste à définir une classe d’êtres qui partagent une propriété commune, indépendamment de leurs interconnections. Contrairement à cette approche, il partage la visée des théories de l’appartenance de fonder les obligations de justice sur les relations existantes. Cependant, les partisans de ce troisième principe rejettent dans le même temps la manière dont la théorie de l’appartenance définit les relations sociales moralement pertinentes. Estimant que la nationalité et la citoyenneté sont toutes deux des définitions trop restrictives, ils cherchent à agrandir les limites de la justice de façon à inclure ceux dont les actions s’affectent les uns les autres.
A première vue, ce principe semble donc éviter les faiblesses des deux précédents. Il fournit à la fois un point de vue critique sur les concepts d’appartenance qui servent principalement les intérêts des membres des Etats puissants, et prend en compte les relations sociales.

Cependant ce principe est déroutant par son objectivisme. En concevant les relations qui déclenchent les obligations de justice en termes de causalité, il traite les êtres humains comme des boules de billards qui se cognent les unes aux autres, et néglige la force constitutive des médiations sociales. De plus, dans sa version utilitariste, on peut contester son caractère scientiste. En réduisant la question du « qui » à la question de qui est affecté par qui, le principe de « tous les affectés » la traite comme un pur problème empirique, qui pourrait être réglé par les sciences sociales. Cette approche autorise ainsi de fait les experts en sciences sociales à déterminer le « qui » de la justice.
En réalité, on ne peut se décharger de la question du « qui » sur les experts en sciences sociales de la causalité structurelle. Selon le prétendu principe de l’« effet papillon », on peut apporter les preuves empiriques de ce qu’à peu près tout le monde est affecté par à peu près tout. Ce dont on a besoin, par suite, c’est d’une manière de distinguer les niveaux et types d’effectivité qui seront jugés suffisants pour conférer un statut moral. Les sciences sociales ne peuvent cependant pas fournir un tel critère. Au contraire, ces jugements impliquent nécessairement une combinaison complexe de réflexion normative, d’interprétation historique et de théorie sociale. Ils sont en effet intrinsèquement dialogiques et même politiques.

De manière générale, le principe de « tous les affectés » est en proie au reductio ad absurdum opéré par l’effet papillon. Incapable d’identifier les relations sociales pertinentes moralement, il traite toutes les connections causales comme si elles étaient également significatives. En dépeignant une nuit où tous les chats sont gris, il n’évite pas le mondialisme « taille unique » qu’il critiquait. Ce principe échoue donc également à fournir une norme défendable pour déterminer le « qui » de la justice dans notre époque.

Etant donné les défauts respectifs de l’appartenance, de l’humanisme et du fait d’être affecté, quel type de principe discriminant peut nous aider à évaluer des cadres rivaux? Je propose de soumettre les accusations de mécadrage au principe selon lequel  tous ceux qui sont communéments assujettis  sont des sujets de justice . (Je l’appellerai le principe de « tous les assujettis ».) Selon ce principe, tous ceux qui sont soumis à une structure de gouvernance donnée doivent avoir un statut moral en tant que sujets de justice pour toutes les questions qui concernent cette structure. Selon cette conception, ce qui fait d’une collection de gens des sujets qui se doivent mutuellement justice, ce n’est ni la citoyenneté partagée, ni la nationalité, ni la possession commune du statut abstrait de personne, ni le simple fait de l’interdépendance causale, mais plutôt leur assujettissement commun à une structure de gouvernance qui établit les règles de base qui gouvernent leur interaction. Le principe de « tous les assujettis » fait coïncider la portée du souci moral avec celle de l’assujettissement, quelle que soit la structure de gouvernance.

Ce principe rejette ainsi également l’indifférence humaniste envers les relations sociales. Comme les principes d’appartenance et de « tous les affectés », il affirme que les obligations de justice émergent des relations sociales. A la différence du principe de « tous les affectés » cependant, il rejette l’idée qu’une simple interdépendance causale constitue une relation suffisamment robuste pour enclencher des obligations de justice. Comme le principe d’appartenance, il affirme plutôt que cette relation doit être politique. Mais à la différence de celui-ci, il rejette l’assimilation exclusive des relations politiques à la co-appartenance à un Etat westphalien. Du point de vue du principe de « tous les assujettis  », les relations politiques qui enclenchent des obligations de justice existent chaque fois qu’un ensemble de personnes est assujetti à une même structure de gouvernance qui établit les règles de base de leur interaction.

Bien sûr, tout dépend de la manière dont on interprète l’expression « assujettissement à la structure de la gouvernance ». Je donne à cette formule un sens large, qui inclut les relations à des pouvoirs de différents types. Les structures de gouvernance ne se réduisent pas aux Etats, mais incluent également les instances non-étatiques qui génèrent les règles effectives qui structurent de larges pans des interactions sociales. Les exemples les plus évidents sont les instances qui dictent les règles de base de l’économie mondiale comme l’Organisation Mondiale du Commerce et le Fond Monétaire International. Mais on pourrait donner beaucoup d’autres exemples, comme les structures transnationales gouvernant les régulations environnementales, le pouvoir nucléaire et atomique, la police, la santé et les administrations qui font appliquer les lois civiles et pénales. Dans la mesure où ces instances régulent les interactions de vastes populations transnationales, on peut dire qu’elles assujettissent ces dernières, même si ceux qui décident de ces règles ne sont pas responsables devant ceux qu’ils gouvernent. Etant donnée cette conception large des structures de gouvernance, le terme d’« assujettissement » doit lui aussi recevoir une acception large. Il ne doit pas être restreint à la citoyenneté formelle, ni même à la condition plus large de se trouver sous la juridiction d’un Etat, il inclut aussi les conditions supplémentaires d’être soumis au pouvoir coercitif des formes de gouvernance non-étatiques et trans-étatiques.

Ainsi compris, le principe de « tous les assujettis  » offre une norme critique pour évaluer la justice ou l’injustice des cadres. Un problème est bien cadré si et seulement si tous ceux qui sont assujettis aux structures de gouvernances qui régulent les dimensions pertinentes de l’interaction sociale reçoivent une considération égale. De plus, pour avoir droit à cette considération, il n’est pas nécessaire d’être déjà un membre accrédité de l’instance en question ; il est seulement nécessaire d’y être assujetti. Les Africains sub-sahariens qui ont ainsi été déconnectés de l’économie mondiale par l’effet de règles imposées par ces structures de gouvernance doivent ainsi être pris en compte en tant que sujets de la justice en rapport avec celles-ci, même s’ils ne sont pas reconnus officiellement comme y participant.

Le principe de « tous les assujettis  » remédie aux principaux défauts des principes précédents. A la différence de l’appartenance, il perce des brèches dans le bouclier d’un nationalisme d’exclusion et permet ainsi de percevoir les injustices de mécadrage. A la différence de l’humanisme, il dépasse le mondialisme abstrait, dans la mesure où il prend en compte les relations sociales. Et à la différence du principe de « tous les affectés », il évite l’indifférenciation suscitée par l’effet papillon en identifiant les types de relations sociales moralement pertinents, à savoir, l’assujettissement commun aux structures de gouvernance. Loin de substituer au « qui » westphalien un « qui » unique qui engloberait tout le monde, le principe de « tous les assujettis » milite contre le cadrage modèle « taille unique ». Dans le monde d’aujourd’hui, nous sommes tous soumis à une pluralité de structures différentes, certaines locales, d’autres nationales, régionales ou encore mondiales. Il nous faut par suite délimiter différents cadres pour des questions différentes. Capable de distinguer une pluralité de « qui » pour différents buts,  le principe de « tous les assujettis » nous dit où et quand appliquer quel cadre.

 

Conclusion

 

De manière générale, je propose donc de traiter des conflits du « qui » en soumettant les revendications contre les injustices de mécadrage au principe de « tous les assujettis  ». Cette approche, à mon sens, peut éclairer les conflits de justice qui impliquent des conceptions rivales du « qui ».

Cependant, plus encore que les détails de cette proposition, ce qui est important c’est sa structure conceptuelle générale. Ce qui est ici crucial, c’est que cette approche est à la fois réflexive et discriminante. Elle combine le questionnement réflexif sur les cadres de justice avec un principe évaluateur discriminant. De cette manière, elle prend en compte à la fois les côtés positifs et négatifs de la situation actuelle. Grâce à sa réflexivité, le concept de mécadrage étaye la contestation du cadre westphalien. Et parce qu'il est projeté sur le méta-niveau, ce concept nous permet d’accueillir la possibilité que les questions de premier-ordre de la justice aient été cadrées de manière injuste. Dans le même temps, grâce à son caractère discriminant, cette approche offre une manière d’évaluer la justice de différents « qui ». En soumettant les cadres proposés au principe de « tous les assujettis », elle nous permet de peser leurs mérites relatifs. Ainsi, cette approche est pleine de promesses pour la clarification des disputes sur le « qui ».

Cependant, ce qu’il y a de plus important ici, c’est le problème général que j’ai mis en évidence. Dans la situation actuelle, les présupposés tenus pour allant-de-soi sur le « qui » de la justice n’ont plus aucun caractère d’évidence. Ces présupposés doivent donc être eux-mêmes soumis à la discussion critique et à la réévaluation. Dans ces discussions, il faut éviter deux écueils. D’un côté, on doit résister à la tentation réactionnaire et finalement vaine de se raccrocher à des présupposés qui ne sont plus pertinents, comme le cadre westphalien. D’un autre côté, il ne s’agit pas de célébrer la contestation, comme si celle-ci était en soi une libération. Dans cette conférence, j’ai essayé de construire une position alternative, qui reconnaissait l’incertitude de « qui » comme l’horizon de toutes les luttes actuelles contre l’injustice. Ce n’est qu’en tenant compte à la fois des périls et des espoirs suscités par cette situation que nous pouvons réduire les immenses injustices qui envahissent notre monde aujourd’hui.

 

 

1 Entre parenthèses, on pourrait se demander où John Rawls se situe dans ce schéma. A n’en pas douter, l’auteur du Droit des gens prend place dans les rangs des théoriciens de l’appartenance, dans la mesure où il conçoit la justice comme une relation entre les membres d’un même « peuple » organisé comme une communauté politique domestique. Mais de quel genre de théoricien de l’appartenance est-il ? Tout dépend de ce que Rawls entend par « peuple ». Sans prétendre ici analyser toutes les subtilités de cette notion, que je trouve équivoque, on peut le situer quelque part dans la zone grise qui sépare les variantes du principe d’appartenance comme nationalité et comme citoyenneté.

 

 

Collège International de Philosophie