Réfugiés, diasporas, migrations

Compte-rendu de la quatrième session


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Participants

 

Modérateur : Etienne Balibar, Professeur de philosophie à l'Université Paris-X (Nanterre) ;

Camille Mansour : Une exception absolue au droit international ? ;

Ghassan Abdallah : Une population indésirable : les réfugiés Palestiniens au Liban ;

Mohamed Kamel : Doraï Les relations jordano-palestiniennes : passé, présent, avenir ;

Elias Sanbar : La place des réfugiés dans la nation palestinienne et l'idéologie du retour ;

Michel Warschawski : Les nouvelles immigrations et l'implosion de la société israélienne ;

Henri Goldman : La diaspora est-elle sioniste ? Réflexions sur les contradictions du rapport entre les Juifs et l'Etat d'Israël ;

Sari Hanafi Droit au retour et sociologie du retour ;

Adi Ophir : Perspectives d'évolution de l'opinion israélienne sur la question du droit au retour.

 

 

Première partie

 

Première séquence : Les populations palestiniennes déplacées : origines et conséquences de la situation actuelle

 

Camille Mansour : une exception absolue au droit international ?

Rappelant que la question des réfugiés palestiniens n'est pas uniquement juridique, mais qu'elle est politique, Camille Mansour a ouvert la réflexion sur les réfugiés palestiniens à partir de la question de leur statut, et en repartant du processus historique qui a conduit à la situation actuelle. Le tracé du nouvel Etat d'Israël tel qu'entériné par le Plan de partage de la Palestine adopté en 1947 par l'Assemblée générale des Nations Unies prévoyait la création d'un Etat juif sur 56,5 % du territoire où la population était majoritairement juive (498 000 juifs, 401 000 palestiniens). Après la guerre de 1948, l'Etat d'Israël couvre 78% du territoire. 10% seulement de la population palestinienne reste dans le nouvel Etat d'Israël. Les deux tiers des Palestiniens de l'époque (au total 1 350 000 personnes) deviennent des réfugiés (71 camps de réfugiés répartis entre le Liban, la Syrie, la Transjordanie, la Cisjordanie et Gaza). La guerre de 1967 entraîne de nouveaux départs : 350 000 Palestiniens sont déplacés, la plupart en Transjordanie (Royaume de Jordanie). Pour beaucoup, notamment ceux de Cisjordanie, il s'agit du deuxième déplacement forcé.

Le 11 décembre 1948, la résolution 194, art. 11, fixe le droit des réfugiés au retour. Elle stipule notamment " qu'il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé…" la mise en place de l'UNRWA, qui a pour objectif l'assistance et la réhabilitation des réfugiés palestiniens, va les exclure en droit en en pratique de la protection internationale que confère la Convention de 1951 sur les réfugiés. En effet, à la demande de l'Egypte, les réfugiés palestiniens sont exclus de la Convention de 1951 sur les réfugiés. Car à l'époque il était admis que, d'un point de vue éthique et politique, ils étaient sous la protection des pays arabes d'accueil.

Plusieurs catégories de réfugiés existent donc : les réfugiés enregistrés par l'UNRWA ; les réfugiés non enregistrés; les réfugiés d'après 67, également appelés "déplacés", et qui ont été enregistrés à partir de 1969 suite à un accord avec l'OLP ; les "sans catégorie", qui vivent en clandestins dans des camps où ils sont comme en prison. De fait, le chiffrage exact du nombre de réfugiés palestiniens fait débat.

Deux études de cas sont ensuite abordées, la première concerne les réfugiés palestiniens au Liban, la seconde la Jordanie et sa population palestinienne.

 

Ghassan Abdallah : Une population indésirable : les réfugiés Palestiniens au Liban

Ghassan Abdallah introduit la question des réfugiés au Liban par un rappel de quelques chiffres. 380 000 réfugiés palestiniens vivent au Liban, dont 56% dans des camps. Il existe 12 camps encore aujourd'hui, 3 camps ayant été détruits durant la guerre civile libanaise. Outre un arsenal juridique très important qui instaure une discrimination légal ( des dizaines d’emplois sont interdits aux Palestiniens, la Constitution libanaise interdit explicitement toute implantation définitive de ceux-ci, etc) de nouvelles lois sont introduites et renforcent cette discrimination. Une loi adoptée après le début de l'Intifida leur interdit d'accéder à la propriété ; désormais, si quelqu'un hérite un patrimoine immobilier, il doit le remettre sur le marché dans les deux ans qui suivent. Le discrimination porte aussi sur l'accès aux savoirs. En effet, les étudiants étrangers paient plus cher que les Libanais les frais d'inscription pour leurs études. Cela concerne essentiellement les Syriens et les Palestiniens, mais les Syriens sont souvent exemptés. De fait, 80% des étudiants palestiniens sont exclus de fait. Enfin, les autorités libanaises refusent de reconstruire les camps détruits durant la guerre du Liban, et de réaménager les vieux camps aux infrastructures désuètes alors que leur population ne cesse d’augmenter. Les camps du Sud, enfin, restent encerclés par l'armée libanaise. Ainsi - au nom du droit des Palestiniens au retour - le gouvernement libanais a-t-il développé une politique sécuritaire.

Il manque à la fois aux Palestiniens réfugiés une instance représentative et le bénéfice du statut de 1951, qui leur permettrait de jouir d'une protection internationale. L'aide aux réfugiés palestiniens au Liban se fait en fonction de leurs allégeances respectives. Et ce phénomène est accru par le fait que l'UNRWA qui traverse une crise budgétaire grave a réduit ses aides, notamment matérielles.

 

Mohamed Kamel Doraï : les relations jordano-palestiniennes : passé, présent, avenir

L’Etat jordanien a quant à lui toujours hésité entre deux options. Une volonté réelle d'intégrer les Palestiniens, du fait de leur importance démographique qui pouvait renforcer le poids géopolitique de la Jordanie par rapport à Israël, et une tendance nationaliste, surgie avec Septembre Noir, et qui vise à exclure la partie palestinienne de la société jordanienne. La société jordanienne est très contrastée économiquement et socialement. Le Nord est urbain et rural, le Sud est majoritairement bédouin. Plus de 30% de la population jordanienne vit au dessous du seuil de pauvreté. Par contre, la mosaïque de peuplement propre à la Jordanie (Palestiniens arrivés dès 1930, Libanais, Syriens, Tcherkesses) empêche toute dichotomie.

Aujourd'hui, la Jordanie compte 1 600 000 réfugiés issus du déplacement forcé de 1948 et 750 000 "déplacés" de 1967. Mais il faut aussi compter avec les Palestiniens ayant fui Gaza en 1967 avec des documents égyptiens, et qui se retrouvent apatrides : ils ne disposent que d'un permis temporaire de séjour et d'un permis limité de travail. Leur cas est très souvent occulté, et très difficile à régler. En tout donc, on dénombre environ 2 500 000 Palestiniens sur 4 500 000 habitants en Jordanie.

Le code de la nationalité en Jordanie inclut tous les Palestiniens , y compris les déplacés de 1967 et les habitants des Territoires occupés. Au départ, il s'agissait d'une attribution provisoire de la nationalité, qui répondait au souci de préserver le droit des réfugiés Palestiniens au retour. Ce droit à la nationalité jordanienne a été préservée malgré des crises graves. Mais en 1988, à l'occasion de la séparation des liens administratifs entre la Transjordanie et la Cisjordanie, 750 000 Palestiniens se retrouvent de fait apatrides. Et aujourd'hui, leur droit de circulation vers la Jordanie est très limité. Après les Accords d'Oslo, la question de l'"identité palestinienne" surgit en Jordanie. La question de la citoyenneté reste très prégnante. La Jordanie ne veut pas négocier son identité. Les Accords de paix puis la deuxième Intifida ont gelé les processus de démocratisation en Jordanie.

 

Elias Sanbar : la place des réfugiés dans la nation palestinienne et l'idéologie du retour

Elias Sanbar fait porter son approche de la question des réfugiés palestiniens sur le sens politique du droit au retour. En 1948, dit-il, la Palestine n'est pas occupée, elle disparaît. C'est un pays qui se vide et qui est recouvert par un autre. Ainsi le titre du livre d'Ilan Halevi, Sous Israël, la Palestine, est-il important. Si l'on entre dans la logique de la disparition, les Palestiniens qui partent ne sont pas des exilés, ils n'existent plus. Ils sont sortis de l'histoire. L'élément fondamental du droit au retour est donc la réintégration du temps, de l'histoire, à travers un espace (la terre). L'enjeu est de revenir à la visibilité.

Partant de là, l'idée du retour n'est pas une question d'immigration, et les arguments démographiques ne sont pas pertinents. Il n'y a pas d'équivalence entre le droit au retour des Palestiniens et l'immigration légalisée du droit au retour israélien.

Qui dit retour dit expulsion du territoire, mais quand les Palestiniens partent en 1948 ils emportent avec eux le pays (cf. terminologie du pays noyé), ils le transportent métaphoriquement pour pouvoir le ramener à sa place. D'où une très forte conservation, chez les réfugiés palestiniens, d'un certain nombre de rapports sociaux, de traditions, et même de la toponymie de la Palestine. Ils habitent un pays qu'ils portent et ils veulent reposer le pays à sa place. Cette conservation entraîne aussi une conservation des acteurs, comme on l'a vu avec l'OLP.

Les réfugiés sont le noeud, la clé de tout le futur. Certes, le droit au retour est national, collectif, mais son application ne peut être qu'individuelle, et les négociations doivent porter sur l'application du droit aux individus. Mais, plus largement , la résolution du conflit passe par la reconnaissance des torts qui ont été faits aux Palestiniens. IL n'y aura pas de réconciliation sans cela, et cette question est vitale également pour les Israéliens, qui souhaitent que le conflit soit "historiquement résolu".

Dans les questions qui suivent cette première partie des présentations, Camille Mansour et Elias Sanbar sont amenés à préciser les enjeux de la question historique du transfert. Pour eux, la démarche sioniste à moins visé une colonisation de terres qu'à un remplacement de la population palestinienne par la population juive. Tout au long du mandat britannique déjà, des expulsions avaient lieu, car une clause permanente conclue par le Fonds national juif dans les années 1920 stipulait que la "terre (ne pouvait être) achetée que vide de ses occupants".

Toute la question historique est de savoir si l'idée du transfert était présente très tôt ou non. En 1948, une "Commission du transfert", présidée par Josef Weiz, a été créée, destinée à vider les terres qui ne l'avaient pas été. Il y donc bien eu une politique constante et très articulée visant au remplacement de la population, et qui se poursuit aujourd'hui avec l'immigration.

 

 

Deuxième partie

 

Deuxième séquence : Israël vu du dedans et du dehors : conflits, solidarité, distance

 

Michel Warschawski : Les nouvelles immigrations et l'implosion de la société israélienne

Michel Warschawski analyse ensuite le glissement de l'Etat d'Israël, du concept de refuge à celui de "retour" du peuple à sa terre. Ainsi l'Etat, qui devait être un moyen pour protéger les juifs, est-il devenu une fin. Ainsi les juifs sont-ils devenus un "moyen" au service de cet Etat. Entendons par là le rapport manipulatoire aux communautés juives en diaspora (comme ce fut le cas pour les juifs d'Irak, du Daghestan, puis des pays d'Europe centrale et orientale…). L'élément obsessionnel est celui du danger démographique. Aujourd'hui, 36% de la population âgée de moins de 20 ans en Israël est arabe. Il est donc essentiel d'augmenter la population juive pour contrebalancer une réalité qui semble devenir binationale. Dans les quinze dernières années, 1 400 000 personnes sont venus de l'ex-Union soviétique, soit 20% de la société israélienne. Une partie substantielle de cette immigration n'est pas juive (entre 50% et 80%, ce dernier pourcentage venant du Rabbinat). Parmi les nouveaux arrivants, i y a beaucoup de chrétiens - les églises de Nazareth sont pleines. La logique de cette immigration massive pourrait se résumer ainsi : "Est juif qui n'est pas arabe". Il faut faire venir des migrants de Chine, du Vietnam, etc. et les judaïser. Mais cette politique n'est pas sans conséquence sur la société israélienne. Ces nouveaux migrants ne s'intègrent pas à la société israélienne et accélèrent son processus de désintégration. C'est l'échec du rêve de Ben Gourion d'un Etat juif défendant une identité commune. Il y a éclatement de la communauté juive. Intervention de Sari Hanafi : Droit au retour et sociologie du retour Sari Hanafi pose le problème du débat sur le droit au retour chez les Palestiniens. Il montre en premier lieu comment les "Etudes sur les migrations" créent des catégories essentialistes pour empêcher toute comparaison. Chez les Palestiniens, la question de la mémoire est amplifiée jusqu'à devenir un enjeu central, et aucune critique n'est faite de la culture des camps ; il existe un non-dit idéologique sur les questions d'intégration, etc. Pourquoi ne pas dire que les réfugiés palestiniens sont des gens normaux, qu'ils ne font pas tous de leur retour un problème existentiel? D'une part, il y a le pôle symbolique, la nécessité d'un pardon mutuel, de l'autre, les mécanismes du droit au retour, le champ de l'application.

Son intervention suscitera un fin de session un vif débat avec Elias Sanbar, notamment sur le projet d'enquête auprès de la diaspora palestinienne pour voir qui souhaite exercer son droit au retour, mis en avant par Hanafi comme une approche possible du problème. Pour Elias Sanbar, ce projet venait des Israéliens et était une manière d'éviter de parler du droit. Une autre discussion entre ces deux protagonistes a porté sur ce que Hanafi a appelé la "trahison des intellectuels palestiniens depuis le début du processus d'Oslo", qui ont insisté sur les risques et les dangers du processus de paix plutôt que sur ses aspects positifs, point de vue qui n'était pas partagé par les autres participants palestiniens de la table ronde.

 

Troisième séquence : Le "droit au retour" : un enjeu politique et moral

 

Adi Ophir : Perspectives d'évolution de l'opinion israélienne sur la question du droit au retour

Pour Adi Ophir, l'enjeu en ce printemps 2002 du droit au retour pour les Palestiniens est tout simple : il consiste à se demander si l'on pourra rentrer chez soi le soir. Actuellement, la question cruciale pour les Palestiniens est le droit à rester. Il existe en Israël une propagande en faveur du "transfert immédiat" des populations palestiniennes, qui risque de se concrétiser peu à peu, avec pour légitimation aux yeux de l’opinion publique les attentats perpétrés contre les populations israéliennes. Pour en revenir à la mémoire collective, il est étrange, selon lui, que des gens qui se réclament du droit au retour au bout de 2000 ans n'acceptent pas de parler du droit au retour des Palestiniens. Toute la souffrance des Palestiniens a été éliminée du discours public. Il lui a fallu, personnellement, beaucoup de temps pour comprendre ce qui était arrivé. Le ressort profond qui conduit à cette situation est celui du refoulement. Chez les Juifs israéliens, il y a une représentation de soi comme minorité opprimée qui perdure, alors même qu'ils sont devenus la majorité opprimante. Mais amener les Juifs israéliens à traiter de la question de réfugiés suppose que l'on réécrive et déconstruise l'idéologie du sionisme. Les nouveaux historiens y contribuent pour partie.

Il y a quelques temps, un groupe de Juifs et d'Arabes israéliens ont tenté de mettre un signe à chaque endroit où existait un village palestinien détruit. La réponse n'a pas tardé, mais malgré tout c'est un silence complet sur ces disparitions qui a été brisé.

Le problème est que, rapidement, l'impact de ce travail est diminué par les nouveaux événements. La condition de la terreur réduit la mémoire collective. ("Condition of terror shortens collective memory”).

Depuis Oslo, puis Camp David, l'occupation s'est transformée. De nouveaux mécanismes de brutalité collective et de répression sont apparus. Les Palestiniens sont perçus comme des humains de second ordre. On se situe dans une sorte d'idéologie "post-sioniste" où l'histoire joue un rôle marginal, à commencer par l'histoire de la nation. Ce qui est crucial actuellement, c'est la mythologisation et la déshumanisation de Palestiniens. Dans cette situation, les réfugiés sont perçus comme une immense menace. La simple présence des Arabes devient une menace. La relation réfugiés/guerre est une relation cruciale, aujourd'hui.

 

Synthèse réalisée par Ghislaine Glasson Deschaumes avec Driss El Yazami