Inventaire comparé des droits

Compte-rendu de la deuxième session


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Intervenants

 

Modérateur : Driss El Yazami, secrétaire général de la FIDH et vice-président de la LDH ;

Dr. Aeyal Gross, juriste, Association for Civil Rights in Israël, Université de droit de Tel Aviv : "Droits de l'Homme et conflit armé" ;

Bernard Botiveau, Institut de recherche et d'études du monde arabe et musulman (IREMAM), chercheur au CNRS (Aix en Provence) : "Autorité et société palestinienne face au droit" ;

Hassan Jabareen, avocat, directeur de Adalah, The Legal Center for Arab Minority Rights in Israel (Shfaram) : "Droit, histoire et politique : le cas des palestiniens en Israël" ;

Dr. Yossi Yonah, enseignant en philosophie politique, directeur du centre de formation des enseignants, Université Ben Gurion du Negev : "Inégalités et discriminations dans la société israélienne" ;

Ameer Makhoul, directeur de l'association Ittijah-Union of Arab Community Based Associations (Haïfa) : "Les palestiniens en Israël : du groupe au peuple" ;

Ayman Rabi, ingénieur, Palestinian Hydrology Group (Jérusalem) : "Le droit à l'eau" (absent) ;

Khader Shkirat, directeur de Law (Jérusalem) : "Y a-t-il un apartheid israelien ?".

 

 

Ouverture

 

En ouverture de la séance, Driss El Yazami, a rappelé les principes qui président au travail du collectif “Convergences Palestine / Israël”. Il se compose d’individus, qui assument la responsabilité intellectuelle du projet, de revues d’idées, de maisons d’édition, d’associations des droits de l’Homme. Il a pour objectif d’ouvrir une scène où les faits de l’affrontement et de la colonisation puissent être exposés par le détail. Il vise à montrer que des convergences existent entre Israéliens et Palestiniens, mais qu’elles ne sont pas toujours visibles, et il entend créer l’espace d’une discussion appuyée à la connaissance serrée des terrains du conflit. Il se propose enfin de sortir du débat d’opinion qui prévaut en France, et de la polarisation autour des logiques ethnico-religieuses.

Il a invité à se situer dans une certaine distance, et de privilégier la tenue dans la réflexion et dans le dialogue, le collectif s’attachant moins à commenter l’actualité brûlante qu’à l’éclairer par une information en profondeur.

 

 

Première partie

 

Première séquence : systèmes juridiques et défense des droits de l'Homme

 

Eyal Gross : le dilemme du recours à la Cour Suprême

Eyal Gross a centré son intervention sur le dilemme que constitue pour la société civile le recours à la Cour Suprême. L’ouverture de cette possibilité aux Palestiniens des territoires occupés en 1967 a en effet suscité des interrogations, surtout après le rejet de nombreuses plaintes. Ne risquait-on pas de légitimer, par de tels recours, les pratiques de l’armée israélienne ? L’ACRI ainsi que d’autres associations de défense des droits de l’Homme ont néanmoins décidé de continuer à faire appel à cette Cour, en espérant que certaines de ses décisions contribuent à réduire la marge de manœuvre des militaires et même si le seul domaine où la Cour a fait une différence est celui de la torture.

Pour illustrer le dilemme des associations israéliennes, Eyal Gross donne l’exemple des assassinats ciblés pratiqués depuis le début de la deuxième Intifada. L’ACRI a déclaré son opposition dans tous les cas à de telles pratiques, mais fallait-il ou non porter des cas devant la Cour Suprême ? Il a été finalement décidé que non. Un recours contre certains assassinats et pas d’autres reviendrait à légitimer les meurtres de terroristes.

Il précise que la défense des droits des Palestiniens est actuellement difficile, car l’opinion dominante en Israël est que les Palestiniens ont refusé de grandes concessions à Camp David et qu’ils utilisent la terreur. L’ACRI agit en écrivant aux autorités, même si beaucoup de lettres restent sans réponse, et par des actions juridiques. Pour illustrer ces actions, Eyal Gross cite des exemples récents : un recours contre la torture des prisonniers et un autre contre l’interdiction qui leur est faite de rencontrer des avocats, tous deux rejetés ; un recours, fait conjointement avec l’association palestinienne LAW, contre les difficultés faites aux équipes médicales d’accéder aux victimes ; un autre, introduit en commun avec ADALAH et LAW, contre les démolitions de maisons. Et enfin un dernier recours contre les assassinats collectifs à Jénine, faits qui peuvent être assimilés à des crimes de guerres.

En conclusion, Eyal Gross estime que la Cour suprême regarde la situation actuelle comme s’il s’agissait d’un conflit armé classique et répète souvent que l’armée fait aussi bien qu’elle le peut. La Cour ne s’extrait jamais de la situation d’occupation pour évaluer les faits.

 

Bernard Botiveau : droit(s), société et autorité palestiniennes

Bernard Botiveau précise en introduction que le processus actuel équivaut à une politique de destruction de l’Autorité palestinienne, entendue comme l’ensemble des instances et institutions représentatives de la société mises en place entre 1994 et juillet 2000, date de l’échec de Camp David II. Concernant le rapport des Palestiniens au droit, il souligne trois aspects principaux.

1- La société palestinienne connaît un pluralisme juridique et a une grande familiarité avec la diversité des normes (normes communautaires, droit ottoman, common law héritée du mandat, lois israéliennes, jordaniennes, égyptiennes). Face à ce développement du droit en strates successives, la société a une tradition du droit négocié, avec une influence mineure du droit islamique.

2- Il souligne ensuite la méfiance de la société vis-à-vis du politique, qu’elle ne veut pas voir intervenir dans la régulation des relations sociales. Cette méfiance a été renforcée d’une part par le non respect du droit international et d’autre part par le sort réservé aux arabes israéliens. Jusqu’en 1966, ceux-ci sont soumis à la loi militaire, qui autorise par exemple la détention administrative sans jugement. De ce point de vue, leur expérience n’était pas différente des Palestiniens sous occupation.

3- Enfin, la culture juridique pluraliste des Palestiniens a été renforcée par l’exil qui a vu l’OLP développer un important système normatif dans les camps de réfugiés.


Concernant la mise en œuvre des institutions : dans le cadre du processus d’Oslo, et en lien avec les pays donateurs qui insistaient sur la notion d’Etat de droit, un Conseil législatif palestinien (CLP) a été élu en janvier 1996. Ses 88 membres, en majorité issus des rangs du Fatah de Yasser Arafat, ont été élus massivement malgré l’appel au boycott du Hamas. De l’avis des nombreux observateurs présents, le scrutin a été démocratique. Ce Conseil, conçu comme un Conseil provisoire de l’autonomie, était censé achever son mandat en 1999. Il s’est de fait instauré comme une assemblée législative, une tribune pluraliste. Très vite, il est apparu que le CLP ne sera pas uniquement un relais de l’Autorité. Ainsi, un projet de constitution a été adopté malgré le veto de Arafat et le Conseil a refusé la levée de l’immunité parlementaire de certains membres; une crise a opposé le CLP et l’Autorité sur la loi sur la presse et le Conseil a diligenté une enquête sur l’utilisation des fonds publics et la corruption. Vingt membres du CLP avaient d’ailleurs lancé en décembre 1999 un appel à la réforme des institutions de l’Autorité après la publication de ce rapport.

B. Botiveau évoque ensuite les deux années de débat au sein et à l’extérieur du CLP sur le statut des ONG, entre les partisans de la déclaration préalable et ceux du régime de simple déclaration, point de vue qui l’a finalement emporté. Il souligne la faiblesse de l’appareil judiciaire palestinien (80 juges pour Gaza et la Cisjordanie) et l’existence de quelques conflits avec l’Autorité suite à des jugements contre des ministres, ainsi que l’initiative du Parlement fictif du printemps 1999. Composé de 88 personnes “élues” par les associations, il avait élaboré des projets de lois alternatifs sur le statut personnel.

 

Deuxième séquence : clivages et discriminations dans la société israélienne

 

Ameer Makhoul : les Palestiniens en Israël et la conscience post-Oslo

Ameer Makhoul estime que les accords d’Oslo et les événements d’octobre 2000 ont constitué deux tournants essentiels pour les Palestiniens en Israël.

A Oslo, l’OLP a acquiescé à la fragmentation du problème palestinien et a d’une certaine manière accepté la vision israélienne qui considère que cette population constitue un problème interne à cet Etat, alors qu’elle fait partie du peuple palestinien. C’est en ce sens que l’on peut parler de la conscience post-Oslo, qui se manifeste chez les Palestiniens d’Israël par la création de nouvelles associations, séparées des associations israéliennes et qui établissent leur propre agenda. Ces associations réfutent l’approche intégratrice. Il y a donc aujourd’hui deux “sociétés civiles” en Israël : le mouvement israélien de la Paix qui estime que la bataille essentielle est contre l’occupation et les associations palestiniennes qui estiment que le combat prioritaire est le soutien à la lutte de libération du peuple palestinien.

Les événements d’octobre ont renforcé parmi les Palestiniens d’Israël le sentiment d’être une communauté en danger.

Notre agenda politique est le suivant, conclut Ameer Makhoul : internationaliser notre situation en demandant une protection et renforcer la coordination entre ONG palestiniennes des deux côtés de la ligne verte. La solution à long terme réside dans un Etat bi-national avec partage du pouvoir.

 

Hassan Jabareen : une identité nationale en devenir

Hassan Jabareen s’interroge sur le sens politique de la lutte des Palestiniens en Israël. Devenus par la force une minorité, doivent-ils se battre pour les droits civiques, à l’instar des noirs américains ou des immigrés en Europe, ou doivent-ils mener une lutte de libération nationale ?

Il distingue deux étapes. En 1948, la fondation de l’Etat d’Israël aboutit d’une part à la création du problème des réfugiés et d’autre part à la création d’une minorité de citoyens israéliens, les Palestiniens, qui n’ont pas choisi cette identité et qui se retrouvent nationaux d’un Etat qui se définit comme juif. Israël contrôle le problème des réfugiés par l’instauration de la loi du retour et sa minorité palestinienne par l’administration militaire, qui est effective jusqu’en 1966. La guerre de 1967 créée une troisième catégorie : les Palestiniens sous occupation. Depuis, les revendications palestiniennes sont de trois ordres : pour les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, c’est la fin de l’occupation, pour les réfugiés, c’est le droit au retour et pour ceux de l’intérieur, c’est le droit de rester. Mais les revendications des deux derniers groupes sont le plus souvent minorées et marginalisées.

Le droit de rester signifie d’abord de résister à la confiscation des terres (70% des terres l’ont été), se battre pour les droits des “ uprooted villages ” (200 000 personnes) et des villages non reconnus (70 000 personnes). D’où le thème central de la terre depuis le 1er mars 1976, date de la première grève générale réussie.

 

Yossi Yonah : les déficiences structurelles de la démocratie

Yossi Yonah développe le point de vue qu’Israël est une démocratie qui a des déficiences structurelles. De façon inhérente, toute démocratie fonctionne par inclusion et exclusion ; ainsi, les immigrés, parce que non-nationaux, sont exclus de la vie démocratique des pays occidentaux. Dans cette situation, les facteurs d’exclusion sont directs et évidents. Ce n’est pas toujours le cas. En outre, les mécanismes d’inclusion et d’exclusion deviennent plus rigides et plus oppressifs lorsque la démocratie rencontre le nationalisme.

Quatre facteurs déterminent l’appartenance à Israël : la judaïté, l’affiliation européenne, la masculinité, le républicanisme. On pourrait y ajouter un cinquième facteur, le rapport à la Shoah, mais le temps imparti ne permet pas, dit Yossi Yonah, de développer ce point. Ce sont ces facteurs qui sont à l’origine des déficiences structurelles de la démocratie israélienne.

Si le premier facteur est évident, les trois autres le sont moins. L’affiliation européenne se manifeste par la prégnance d’un modèle politique idéal (une démocratie de culture européenne) ; les discriminations implicites qui touchent les juifs arabes (5% des étudiants sont d’origine séfarade) en sont une des conséquences. La masculinité qui se manifeste par la domination de la scène politique par les hommes est la conséquence de la place essentielle de l’armée dans la vie du pays. L’armée détermine notamment le devenir professionnel des hommes et des femmes. Le républicanisme est en lien avec la place qu’accorde la démocratie israélienne aux pères – et aux groupes - fondateurs ; elle n’admet en définitive que ceux qui ont joué un rôle dans la création de l’Etat.

 

 

Deuxième partie

 

Troisième séquence : Y a-t-il un apartheid israélien ?

 

Khader Skhirat : question palestinenne et droit international

Khader Skhirat revient sur la position défendue à la conférence contre le racisme de Durban et qui assimilait la politique de l’Etat d’Israël à une forme d’apartheid.

Se référant aux instruments internationaux de protection des droits de l’Homme (Charte des Nations Unies, Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de racisme, etc.), il estime que les Palestiniens sont discriminés, en raison de leur origine nationale et ethnique , quelle que soit leur lieu de résidence, en Israël, dans les territoires autonomes ou toujours occupés ou en diaspora. Les politiques de ségrégation et de domination qu’ils subissent ont de fortes similitudes avec celles de l’apartheid, car le principe de la non discrimination est à la base des droits de l’Homme ; c’est le principe d’égalité qui permet de bénéficier de ces droits. La colonisation et le refus du droit à l’autodétermination sont contraires aux principes définis dans la Charte des Nations Unies.

Khader Skhirat pense que, depuis 1948, il existe une politique systématique de négation des droits des Palestiniens qui s’est manifestée par le déplacement des populations et leur expulsion, la dépossession des terres, l’instauration de législations différentes, au détriment des Palestiniens et au seul bénéfice des citoyens juifs (Loi du retour),... En ce sens, il propose de parler d’une Nakba encore en cours.

 


Synthèse réalisée par Driss El Yazami