XVème Université d’été francophone pour les étudiants de sciences humaines

« Peut-on se débarrasser du passé ? », du 3 au 23 septembre 2000 à l’Université Marc Bloch (Strasbourg)


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Co-organisée avec l’université Marc Bloch ; avec la participation de la Maison de l’Image ; avec le soutien de : Ministère français des Affaires Etrangères, Conseil de l’Europe, Ville de Strasbourg, Conseil régional d’Alsace, Conseil général du Bas-Rhin, Fondation européenne de la culture, Open Society Institutes (South-East sub programme).

 

 

Présentation du thème

 

L’Université d’été co-organisée avec l’Université Marc Bloch a analysé la question d’un point de vue philosophique, historique et anthropologique. Les outils théoriques proposés aux étudiants portaient dans un premier temps sur la dialectique de l’oubli et de la mémoire, dans un second temps sur le refoulement du passé et ses conséquences, dans un troisième temps sur la valorisation excessive du passé et son esthétisation.

En parallèle, une série d’études de cas, s’appuyant sur des films documentaires, mais aussi des visites de la ville de Strasbourg et de ses musées était proposée, en éclairage de la réflexion théorique.

Dans le cadre d’ateliers informels, chaque participant était invité à interroger sa propre relation au passé, ainsi que celle qui prévaut dans la société où il/elle vit.

La situation de la ville de Strasbourg, ouvrant des possibilités uniques pour penser le passé, le présent et l’avenir notamment au travers de la coopération transfrontalière et transnationale, était particulièrement fructueuse pour un tel travail de terrain, qui a aussi consisté en une lecture des traces du passé dans la ville.

 

Une galerie/album d’images du passé

Avant de venir aux universités d’été, chacun des participants avait élaboré une narration sur un aspect de sa propre relation au passé et à la mémoire collective, qu’il a présentée puis mise en forme dans le cadre des séances de travail. Cette narration avait, selon les individus, les formes suivantes : série de photos prises par l’étudiant lui-même, recueil écrit de témoignages, réalisation de reportages sous forme audio ou audio-visuelle, auprès de la famille, des voisins, etc.

Abordant amplement, dans certains des textes qui le composent, la thématique du rapport au passé, le numéro 18 de la revue culturelle internationale Transeuropéennes, consacré à « Civilité et action humanitaire » a en outre été distribué aux étudiants comme base de travail.

 

 

Conclusions générales

 

La XVe université d’été de Transeuropéennes s’est déroulée pour la cinquième année consécutive en partenariat avec l’Université Marc Bloch, du 3 au 23 septembre 2000 à Strasbourg. Elle a réuni vingt huit étudiants, en sciences humaines, d’Europe du Sud-Est autour de la question suivante : « Peut-on se débarrasser du passé ? »

Le niveau du groupe était inégal, certains ayant à la fois une très bonne connaissance du français et une grande culture générale. Toutefois, l’aisance dans la langue française ne correspondait souvent pas, chez un individu, à son niveau de culture et à l’ampleur des connaissances. Les meilleurs francophones n’étaient pas toujours les étudiants les plus curieux ou les plus actifs.

Au début de l’université d’été, tous ont fait preuve d’un intérêt moindre pour les cultures et expériences des pays voisins. Peu à peu, cette tendance s’est inversée, ce qui n’est pas le moindre des succès de ces trois semaines. De très réservé au départ, le groupe a peu à peu conquis une véritable capacité critique, un esprit collectif et d’ouverture, un sens de l’altérité, grâce notamment aux confrontations, colères et réconciliations expérimentées à l’occasion de certaines discussions difficiles (notamment, après la projection du film Suicide d’une nation).

 

Des enjeux de débat cruciaux

Comme l’ont montré les séances de conclusions et les travaux rédigés par les étudiants à la fin de l’université d’été, cet objectif a été amplement atteint, les participants ayant réussi à mener en profondeur l’analyse, n’hésitant pas pour cela à se confronter aux dimensions les plus conflictuelles de la question, et à trouver les voies de dépassement de leurs antagonismes. Douloureuses dans la première moitié de l’université d’été, les discussions ont pu conquérir une juste distance ensuite. Elles ont permis d’élaborer un cadre de références commun sur des questions qui avaient au début provoqué des positions très rigides : la responsabilité collective et la responsabilité individuelle, le pardon – la réconciliation, le Tribunal international de La Haye et la nécessité des procès pour crimes de guerre, le rapport au passé communiste, les notions d’identité, « ethnos », nation, les rapports entre « l’Europe » et les « Balkans » (avec le noeud politico-fantasmatique qui rend difficile une juste appréciation des enjeux).

La question-clé abordée dés le début de l’université d’été fut celle de la mémoire et de l’oubli, mettant en avant la nécessité de mémoire et les réalités sociales, politiques, géographiques actuelles qui ne s’y accordent pas toujours. L’appropriation/ instrumentalisation politique de la mémoire a fait l’objet de plusieurs sessions. Ont été d’abord soulignées les mythifications et sacralisations nationalistes du passé, qui vont jusqu’à inventer à la langue un passé ad hoc. Renvoyant à un terrain qu’ils ont personnellement expérimenté, celui des nationalismes ethniques qui ont prévalu (prévalent encore) au cours des dix dernières années dans les Balkans, ces éléments de programme ont beaucoup apporté aux étudiants, comme en ont témoigné leurs textes.

L’analyse menée ensuite sur l’amnésie du passé communiste a démontré les différences de perceptions entre les jeunes venus de Roumanie, Bulgarie et Albanie, et ceux des pays issus de l’ex-Yougoslavie pour qui le passé communiste reste un quasi tabou.

Le cas du passé conflictuel franco-allemand, vu à travers une région telle que l’Alsace, a permis de relativiser le contexte régional balkanique, de le mettre en relation avec l’histoire de toute l’Europe. L’analyse de la réconciliation franco-allemande, présentée comme cas, mais sans volonté de délivrer de modèle, a enfin permis de poser les conditions de possibilité de l’expérience de dépassement des conflits, éclairant notamment « le droit à l’oubli de la victime et le devoir de mémoire de l’agent ». Néanmoins, il faut relever la grande difficulté des étudiants à transposer l’histoire européenne de la première moitié du XXe siècle à l’échelle régionale des années quatre-vingtdix, et à saisir en quoi les solutions des problèmes issus de la Seconde Guerre mondiale pourraient être intéressantes pour penser l’histoire contemporaine de leur région.

La « fétichisation » du passé par des sciences telles que l’archéologie ou des institutions comme celle du musée ont également provoqué un vif intérêt chez les participants, ouvrant un nouveau champ de réflexion sur les enjeux sociaux et politiques de la mémoire et de l’oubli.

 

Cheminements individuels, cheminements collectifs

Des projections de films documentaires (sur la Seconde Guerre mondiale, sur le passé communiste, sur les relations greco-turques, sur les guerres de l’ex-Yougoslavie), suivies de débats, ont également nourri le programme de manière constructive, en ce sens qu’elles ont permis aux étudiants de briser l’appréhension qu’ils avaient (par souci d’éviter tout conflit dans le groupe) à prendre la parole, à se confronter aux réalités, à émettre un point de vue.

Il avait été demandé aux étudiants de réaliser avant leur arrivée à Strasbourg un travail personnel sur leur propre rapport au passé, sous forme de travaux écrits, photographiques, vidéo. Des présentations ont été faites de ces travaux, qui ont permis à chacun de contextualiser leur approche dans la thématique générale. Lors de la mise en commun, toutefois, lors des discussions ou bien de la réalisation d’une exposition de leurs photographies, on a pu noter l’extrême difficulté des étudiants à s’auto-organiser et à donner, de façon autonome, un fil rouge à leurs diverses contributions.

Les séances d’atelier ont néanmoins permis de mettre en débat un certain nombre de notions, en rapport avec les cours : identité, démocratie, nationalité, frontières, Europe, mondialisation, et surtout la question de responsabilité individuelle qui fut directement ou indirectement récurrente sur une grande partie de l’université d’été.

Les étudiants ont produit en fin de session un travail écrit de réflexion personnelle, rédigé en français, sur l’une des deux questions suivantes : 1) Histoire individuelle, histoire collective : deux histoires ? 2) Pour un avenir d’échanges et de dialogue, quel rapport au passé ? Certains de ces textes témoignent d’un cheminement de la réflexion au cours de ces trois semaines, et surtout d’une réelle capacité individuelle de remise en question. D’une manière générale, ces textes ont le mérite de soulever et de laisser ouvertes de nombreuses questions, et de mettre en lumière la pluralité des interprétations et des voies d’approche possibles.

Parmi les questions restées amplement ouvertes, parce qu’elles ont souvent émergé en fin de session, lors des derniers débats, on relèvera le grand intérêt pour la construction européenne, pour le rôle de la société civile et ses réelles marges de manoeuvre, pour la participation démocratique.

En dépit de la longévité du projet, l’université d’été de UMB a bénéficié cette année encore d’une forte mobilisation intellectuelle de la part des enseignants de l’UMB, d’un accueil extrêmement dévoué et chaleureux des équipes de l’UFR de Philosophie, Linguistique, informatique et sciences de l’éducation et de la Présidence, et d’un engagement très généreux de la part d’autres universitaires et de responsables culturels strasbourgeois. L’apport notamment de la Maison de l’image en termes de programmation des films documentaires doit être salué.

 

Synthèse proposée par Ana Samardzija et Sébastien Babaud

 

 

Intervenants

 

Roselyne Baffet, maître de conférence en littérature comparée, Université Marc Bloch, Strasbourg ; Mrdjan Bajic, artiste plasticien, Belgrade ; Marek Beylin, journaliste, Gazeta Wyborcza, Varsovie ; Ulrich Bielefeld, chercheur en sociologie, Hamburger Institut für Sozialforschung, Hamburg ; Ivan Colovic, écrivain, ethnologue, Belgrade ; Liliana Dejanova, maître de conférence en sociologie, Université de Sofia ; Jean-Louis Déotte, maître de conférence en esthétique, département de philosophie de l'Université Paris VIII, Paris ; Ghislaine Glasson Deschaumes, directrice, Transeuropéennes (Paris) ; Georges Heck, directeur, Maison de l'image, Strasbourg ; Didier Laroche, archéologue, enseignant à l’Ecole d'Architecture, Strasbourg ; Jean-Luc Nancy, professeur de philosophie, Université Marc Bloch, Strasbourg ; Daniel Payot, professeur de philosophie, président de l'Université Marc Bloch, Strasbourg ; Freddy Raphaël, professeur de sociologie, Université Marc Bloch, Strasbourg ; Jacques Rizzotti, architecte, Strasbourg ; Maurice Sachot, professeur en sciences de l'éducation, directeur de l'UFR de Philosophie, de linguistique et des sciences de l'éducation, Université Marc Bloch, Strasbourg ; Dubravko Skiljan, professeur de linguistique, Institutum Studiorum Humanitatis (Zagreb/Ljubljana).

 

 

Partenaires et équipes

 

Université Marc Bloch, U.F.R. de Philosophie, Linguistique, Informatique, Sciences de l’Éducation.

Co-directrices : Roselyne Baffet, Ghislaine Glasson Deschaumes.

Conseillers pour le programme : Ivan Colovic (coordonnateur scientifique), Jean-Louis Flecniakoska, Georges Heck, Philippe Lacoue-Labarthe, Daniel Payot, Maurice Sachot.

Chargées de projet : Sandra Aïdara et Ana Samardzija.

Programmation des films documentaires : Georges Heck, Maison de l’image.

Coordination : Sébastien Babaud, Ana Samardzija, avec la contribution de Sanja Lucquet-Basaric et de Gökhan Soydas.

Ainsi que : Maison de l'image