XXIème Université d'été francophone

Territoires, frontières, coopération, du 2 au 21 septembre 2002 à Strasbourg (France)


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Co-organisée avec les universités de Strasbourg : Université Marc-Bloch, de Sciences Humaines ; Université Robert-Schuman, de Droit et de Sciences Politiques ; Université Louis-Pasteur, de Sciences et de Géographie. Avec le soutien du Ministère français des Affaires Etrangères, du Conseil de l’Europe, de la Robert Bosch Stiftung, du Conseil Général du Bas-Rhin et du Conseil Régional d’Alsace.



Conclusions générales


La 21ème université d’été de Transeuropéennes a été organisée pour la septième année consécutive à Strasbourg et a réuni 29 étudiants de la 3ème à la 5ème année d’étude de quasiment tous les pays de la région. Elle s'adresse aux ressortissants des pays suivants: Albanie, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Chypre, Croatie, Grèce, Macédoine, Roumanie, Serbie, Monténégro, Kosovo/a, Slovénie et Turquie.

Cette année, pour ce qui concerne Strasbourg, seuls des étudiants chypriotes et slovènes manquaient, le recrutement de participants d’un bon niveau de français s’avérant toujours plus difficile que dans le cas des universités d’été en anglais (celle qui s’est tenue en Macédoine a accueilli des étudiants de toute la région). Comme chaque année, le recrutement s’est opéré suivant deux types de critères : le critère universitaire visait à sélectionner des étudiants d’un bon niveau d’étude (recrutement ouvert aux étudiants en 5ème année en 2002) et de spécialités diversifiées afin de favoriser l’interdisciplinarité ; le critère civique favorisait la sélection d’étudiants ayant une forte implication associative de façon à générer un effet multiplicateur sur les opinions et à promouvoir la mise en réseau des projets d’actions éventuels.

 

Pluridisciplinarité et détour didactique

Pour la première fois cette année, le partenariat qui réunissait Transeuropéennes et l’université des sciences sociales Marc-Bloch depuis six ans a été élargi à l’université de droit et de sciences politiques, Robert-Schuman, et à celle des sciences (dont la faculté de géographie) Louis-Pasteur, c’est-à-dire à l’ensemble du Pôle universitaire de Strasbourg. Ce partenariat favorisant l’interdisciplinarité a été marqué par la participation d’intervenants des trois universités sur des sujets se rapportant, chacun dans sa discipline, au thème de l’université d’été. Ce mouvement vers un partenariat élargi permet d’envisager à terme la mise en place d’autres projets de coopération à destination de la communauté académique et universitaire de l’Europe du Sud-Est qui bénéficieront de l’étendue des champs et disciplines couverts par ces différentes universités.

Les étudiants, durant ces trois semaines, ont fait montre d’une très grande curiosité à l’égard des multiples approches développées. Parfois, la prise de distance qu’offrait le programme de l’université d’été a été délicate. En effet, le détour disciplinaire proposé durant ces trois semaines et l’exploration du terrain de Strasbourg et de sa région frontalière comme zone d’expérimentation de la thématique ont pu laisser croire aux étudiants que le sujet ne traitait que de coopération franco-allemande ou bien de cours d’urbanisme et que cet ensemble d’exemples et d’outils n’étaient pas destinés à être appliqués au cas plus brûlant de l’Europe du Sud-Est. Cette ambiguïté apparente sera à plusieurs reprises levée à l’occasion de cours, d’ateliers ou de visionnage de documentaires portant plus spécifiquement sur la région, parfois non sans difficulté. En effet, malgré toute l’ouverture d’esprit dont pouvaient faire preuve les étudiants, les logiques habituelles de regroupement par aire culturelle, si ce n’est par pays, sont loin d’avoir été absentes de cette université d’été. Par ailleurs, les attitudes d’ignorance ou d’amnésie « volontaires » ont été très présentes durant ces trois semaines. Tous, intervenants, participants et organisateurs ont dû fournir des efforts très soutenus, et parfois très douloureux, pour décloisonner les comportements de groupe.

 

 

L’argumentaire thématique en 2002 : Territoires, frontières, coopération

 

Qu’est-ce qu’un territoire ? Est-il définitivement caractérisé ? A-t-il une essence ? Est-il stable ? Quelles sont les modalités de sa transformation ? Détermine-t-il la(es) frontière(s) ?

L’intention de cette université d’été est de montrer comment est façonné un territoire en fonction des différents enjeux que sa qualification/ désignation/ délimitation soustendent. En particulier, la question de l’ouverture et de la fermeture d’un territoire sera centrale lorsque seront abordées les différentes politiques à l’oeuvre. Ceci permettra de montrer qu'un territoire n'est pas "essentiel" mais qu'il est fortement déterminé par des actions extérieures et humaines. Un territoire est sur-déterminé par ce que l'on en fait.

A cet égard, les politiques publiques (public policies) en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire sont exemplaires du modelage d’un territoire qui sont axées sur l’ouverture, le mouvement et la circulation. Il en va de même, mais avec des répercussions plus graves, parfois plus dramatiques, pour les actions politiques (political actions) visant à soutenir des revendications territoriales dans un contexte nationaliste. Ces dernières instrumentalisent le plus souvent l’espace en le stigmatisant ou en en réduisant les circulations et en le fermant (lieux de mémoire, frontières, check-points, partitions, purifications ethniques…).

Au travers de ces questions spéculatives se dessinent donc des enjeux très contemporains à l’oeuvre notamment dans les Balkans. Le déplacement forcé des populations, l’homogénéisation ethnique et culturelle, la cohabitation et les nouvelles formes plus souples d’association entre nouveaux Etats, les principes de souveraineté et le refus de l’ingérence s’appuient sur des constructions ou des représentations territoriales qui génèrent des frontières. En outre, si l’OTAN et l’Europe occidentale sont intervenues dans les Balkans pour tenter d’y apaiser ces mêmes conflits qui se nourrissaient des problèmes de territoires, elle n’est pas sans provoquer de contradictions et de surenchères territoriales puisque l’ensemble des Etats de l’« Ouest », et particulièrement le bloc de l’Union européenne, ajoutent en réalité une nouvelle frontière à cet agencement déjà complexe. La prise de conscience de la frontière de Schengen donne l’impression aux populations des Balkans qu’elles sont renvoyées à la marge.

Quelles que soient ces frontières, nationales ou ethno-nationales, culturelles ou sociales, européennes et balkaniques, seul l’approfondissement des coopérations pourra permettre le dépassement des ruptures qui sont à l’oeuvre.

La ville de Strasbourg, ses multiples territoires urbains, son histoire conflictuelle d’enjeu territorial, son statut actuel de villetransfrontalière et européenne, ainsi que le territoire de l’Alsace et celui, proche, de l’Allemagne (notamment les villes de Kehl et de Fribourg et le Land du Bade- Wurtemberg) sont des terrains privilégiés d’analyse et de réflexion pour les étudiants.

En outre, les acteurs politiques européens pris au sens large présents à Strasbourg (le Conseil de l’Europe et la Cour européenne des Droits de l’Homme) sont des interlocuteurs potentiels pertinents pour la jeune génération des Balkans.

 

 

Méthodologie et déroulement

 

La langue de travail est le français.

Interdisciplinarité, travail concret en ateliers et en cours, rencontres de terrain (vie associative, institutions européennes, vie culturelle et politique locale), franchissement des frontières et rencontres sur le territoire allemand : tels sont les éléments clés d'un programme qui repose sur la forte implication intellectuelle et humaine des intervenants et étudiants.

 

Les travaux préparatoires des étudiants

Avant de venir à Strasbourg, chaque étudiant a dû préparer un travail personnel qui retraçait son expérience ou sa conception de la frontière. Ce travail devait être présenté en cours et discuté par la salle puis commenté par un spécialiste des frontières de l’université Louis-Pasteur. Quelques notions fortes se sont dégagées des travaux des étudiants, parfois en contradiction suivant les approches, mais toutes les approches ont mis en valeur la présence des frontières dans leurs vies et des ressentiments ou inquiétudes qu’elles faisaient naître.

La frontière est d’abord ressentie comme une coupure par la plupart d’entre eux. Elle est l’expression d’un repli identitaire face à une peur de l’altérité. Cette coupure est également ressentie comme arbitraire, fruit d’histoires politiques complexes et tragiques, parfois de mouvements totalement artificiels et ne répondant en rien aux aspirations de la société. Ainsi, un participant notait ironiquement que, dans les Balkans, il était impossible de naître et de mourir dans le même pays. La frontière est un moment qui cristallise une formule possible de l’identité pour en rejeter toutes les autres virtualités qui font la richesse et la complexité de la région.

Mais la frontière ne se résume pas aux bordures extérieures d’un pays que certains ont traversé avec l’impression tenace d’être toujours dans un même ensemble régional. Ils soulignent d’ailleurs que les frontières invisibles et intérieures sont beaucoup plus puissantes. La notion de « territoire » a été ainsi introduite par une étudiante qui expliquait se sentir beaucoup plus en sûreté dans certaines parties de son pays que dans d’autres. Le problème des minorités et de leurs territoires a été également abordé.

La frontière est également appréhendée comme une zone de friction et, par conséquent, d’échange. La proximité d’une frontière peut générer des échanges de toutes sortes, y compris bénéfiques et stimulants. Ainsi, malgré tout le malaise qu’elle pouvait ressentir à passer régulièrement pour des raisons professionnelles la même frontière, une participante notait toute l’ambiguïté de son sentiment puisque ce poste était un passage vers sa famille, donc annonciateur de « bonne nouvelle ». La frontière, métaphoriquement, peut-être vécue comme un pont.

En écho aux contributions et ateliers qu’ils ont suivis durant cette université d’été, quelques étudiants ont insisté sur la notion de coopération entre les pays pour faciliter le franchissement des frontières. Un étudiant remarquait très judicieusement que, plus performants que n’importe quelle coopération transfrontalière, les trafiquants en tous genres avaient déjà aboli les frontières dans les Balkans ! Les Etats devraient être capables d’en faire autant à des fins légales. Toutefois, l’histoire récente douloureuse suppose encore de gros efforts de dépassement des ruptures qui donnent leur sens à des activités du type de celles de l’université d’été.

Tous insistaient enfin sur la difficulté de franchir la frontière « Schengen » confrontés à leur désir d’Europe, renvoyant l’Europe occidentale devant sa responsabilité de stimulation de l’ouverture de l’autre et de soi-même.

 

Le travail de terrain à Strasbourg

Les travaux préparatoires ont été suivis d’un travail en groupe qui visait à faire découvrir aux étudiants combien les logiques des frontières de l’intérieur étaient à l’oeuvre à Strasbourg même, en leur faisant parcourir les différents quartiers de l’agglomération. Cinq groupes ont été formés pour ce faire qui ont parcouru des ensembles urbains très différents du centre, identifiés par des urbanistes et géographes des universités partenaires, avec pour tâche d’interroger les habitants, de prendre des photos des lieux, de repérer les différents territoires . Pour ceux des étudiants qui ne connaissaient pas l’Union européenne, les difficultés sociales sont apparues beaucoup plus concrètement ainsi que les territoires internes à la ville. Une exposition de leurs travaux a été faite à l’occasion d’un cocktail offert par les présidences des trois universités de la ville.

Ce travail s’inscrit dans la continuité du numéro 21 de la revue Transeuropéennes « Relier la ville », qui a été coédité avec l’université Marc-Bloch. Il s’est inspiré de la problématique centrale traitée dans ce numéro, les frontières invisibles de la ville et les espaces ségrégés qui remettent en cause la notion d’espace public.

 

La diversité des cours et des disciplines

L’accent a été mis sur la pluridisciplinarité des cours proposés aux étudiants. Géographie, urbanisme, philosophie, anthropologie, histoire, sociologie, droit… ont composés la toile de fond des outils et des approches du thème traité. Une large place a été faite à la discussion par les intervenants eux-mêmes. Les cours avaient lieu généralement en matinée.

 

Ateliers, visites, rencontres

Les activités étaient distribuées entre ateliers, rencontres, visionnages de films et visites et prenaient place généralement l’après-midi. Cette année encore, les ateliers ont été consacrés aux Balkans, soit que les intervenants en fassent une suite de leur cours du matin ou que les étudiants présentent les résultats de leurs travaux. Seul l’atelier sur les territoires de la ville de Strasbourg a traité d’un sujet propre à l’Union européenne. Toutefois, des passerelles ont été jetées à cette occasion.

Les rencontres et les visites ont été particulièrement riches. La Communauté Urbaine de Strasbourg et la Commune de Kehl ont reçu les étudiants pour leur parler du projet du « Jardin des Deux Rives », exemplaire d’une coopération transfrontalière locale. Quant à la coopération universitaire, elle a été longuement exposée durant la visite des étudiants à l’université de Fribourg, membre du réseau transfrontalier de coopération EUCOR (les universités du Rhin supérieur). Deux institutions européennes majeures de Strasbourg, le Conseil de l’Europe et la Cour européenne des Droits de l’Homme, ont accueilli les participants pour une présentation des activités et un débat avec des hauts fonctionnaires. En outre, un officier supérieur de l’état-major des forces américaines en Europe est venu discuter des coopérations militaires avec l’Europe de l’Est mais a également répondu à toutes les questions brûlantes concernant la politique extérieure des Etats-Unis.

Le programme s’est enrichi d’excursions et de visites culturelles autour de Strasbourg.

 

Synthèse préparée par Christophe Ingels

 

Les intervenants

Antoine BEYER, président de l’association de défense du projet du Jardin des Deux Rives « Garten/Jardin » (Strasbourg) ; Henri BIGO, colonel du United States Air Force, Adjoint au Conseiller Politique de l’Etat-Major des Forces Américaines en Europe (Stuttgart) ; Yann DE BUYER, Chef adjoint de la Division des Bureaux extérieurs et d'information, Direction générale des Affaires politiques, Conseil de l’Europe (Strasbourg) ; Ivan COLOVIC, écrivain et professeur d’ethnologie (Belgrade) ; Ghislaine GLASSON DESCHAUMES, directrice de Transeuropéennes-RCE (Paris) ; Christophe INGELS, responsable de programme à Transeuropéennes-RCE (Paris) ; Michael INGLEDOW, conseiller de programme, Direction de la Jeunesse et du Sport, Conseil de l’Europe (Strasbourg) ; Christine KUTNAR, université de Fribourg ; Claudia LUCIANI, Chef de Division, Direction générale des Affaires politiques, Conseil de l’Europe (Strasbourg) ; Hildegarde MADER, correspondante pour le réseau EUCOR, directrice du bureau des relations internationales de l’université de Fribourg ; Christian MESTRE, professeur de droit international, président de l’université Robert-Schuman (Strasbourg) ; Jean-Yves MEUNIER, responsable sur la rive française du projet du « Jardin des Deux Rives » à la Communauté Urbaine de Strasbourg ; Daniel PAYOT, professeur de philosophie, université Marc-Bloch (Strasbourg) ; Jürgen RAUCH, responsable sur la rive allemande du projet du « Jardin des Deux Rives » pour la commune de Kehl ; Bernard REITEL, maître de conférence, chercheur associé à l’université Louis-Pasteur, laboratoire Image et Ville (Strasbourg) ; Maurice SACHOT, professeur en sciences de l’éducation, directeur de l’UFR de philosophie, de linguistique, d’informatique et des sciences de l’éducation (Strasbourg) ; Marthe SCHWAB, conseillère municipale de la ville de Strasbourg ; Svetlana SLAPSAK, professeur d’anthropologie à l’Institutum Studiorum Humanitatis (Ljubljana) ; Christophe SOHN, doctorant au laboratoire Image et ville, université Louis-Pasteur (Strasbourg) ; Léon STRAUSS, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Institut d’Etudes Politiques (Strasbourg) ; Alain TROCME, directeur-adjoint du bureau des relations internationales de la Communauté urbaine de Strasbourg ; Jean-Pierre WORMS, sociologue, centre national de la recherche scientifique, secrétaire général de Transeuropéennes-RCE (Paris) ; Stéphane YERASIMOS, professeur d’urbanisme à l’université Paris VIII.

 

Les partenaires

Transeuropéennes/ Réseaux pour la Culture en Europe, Paris, France ; Présidente : Catherine LALUMIERE ; Directrice générale : Ghislaine GLASSON DESCHAUMES ; Responsable de programme et coordination scientifique : Christophe INGELS ; Chargée de production : Suzana DUKIC ; Assistante de production : Lilit TELYAN ; Administratrice : Lisa TICHANE.


Université Marc-Bloch
; Président : François-Xavier CUCHE. U.F.R. de Philosophie, Linguistique, Informatique, Sciences de l’Éducation ; Responsable : Maurice SACHOT.


Université Robert-Schuman
; Président : Christian MESTRE.

Université Louis-Pasteur ; Faculté de géographie et d’aménagement ; Président : Bernard CARRIERE ; Vice-président : Richard KLEINSMAGER.